On raconte que Clinias,
Élève favori du fameux Phidias,
Dans certain bloc de marbre rare
Cisela Vénus Astarté.
Quand sur son trépied la déesse
Fut posée étalant sa blanche nudité,
Comme devant une maîtresse,
De joie et d’orgueil transporté,
L’artiste admira son ouvrage ;
Puis, se sentant épris des gracieux contours
De ce marbre fait à l’image
De Vénus, mère des Amours,
Admirant la statue à qui, pour être femme,
Il ne manquait plus rien que la parole et l’âme,
Sur son épaule nue où semblaient palpiter
La vie ardente et la jeunesse,
Il dépose un baiser dont il semble goûter
Toute la ravissante ivresse.
Entra Phidias au moment
Où dans ses bras ardents il pressait sa statue.
L’élève rougit à la vue
Du maître, qui lui dit avec étonnement :
Ô fol ! que fais-tu là ? Quoi ! c’est là ta maîtresse !
Le beau chef-d’œuvre, en vérité !
Dans ce marbre grossier qui verrait la déesse
Qui captiva jadis tout l’Olympe enchanté ?
Non, dans cette ébauche grossière
Ne revivra jamais la divine beauté
Qui passe dans l’air plus légère
Qu’une sylphide ou qu’un oiseau,
Et qu’aima Jupiter, le maître du tonnerre.
Que n’as-tu respecté ce marbre ? mon ciseau
En eût fait une œuvre inspirée ;
Ce front, par ma main couronné,
D’étoiles et de fleurs peut-être eût rayonné,
Et ma Vénus idolâtrée
Chez les mortels vivants et la postérité
Eût fait mon orgueil et ma gloire.
L’élève répondit : Ô maître ! il faut vous croire :
De notre art c’est un dieu qui vous dit les secrets.
Parlez, j’attends votre parole.
Allons, maître, ordonnez nous agirons après.
Que faut-il faire de l’idole ?
— Brise-là, dit le maître.
Et, dans un seul instant,
Passant de la plus chaude extase
Au mépris le plus insultant,
L’élève ébranla sur sa base
Le marbre qu’il avait si tendrement baisé.
En une heure il avait brisé,
Objet sans nom, presque poussière,
L’ouvrage de ses mains, sa Vénus tout entière.
C’est l’histoire du genre humain,
Idolâtrant hier ce qu’il brise demain.
“Les Idoles”