Victorin Fabre
Homme de lettre, poète et fabuliste XVIIIº – Les Lièvres père et fils
«Puisque enfin Dieu le veut, souffrez qu’on le maudisse!
Tyran qui pouvait tout, et qui s’est tout permis… »
—« Silence ! »—« Il est tombé ! »—« Crains qu’il ne rebondisse!
— « Jamais! notre bon roi voit tous ses ennemis
A…»—« Silence ! »—« à ses pieds. »—« Crains que le pied lui glisse
Mon fils, dans notre siècle, il faut, pour faire bien,
Approuver tout un peu; mais louer beaucoup ?… rien. »
Où donc ai-je entendu ce colloque exemplaire ?
Serait-ce au Luxembourg, sous l’horloge, au parvis
Notre-Dame ? Non pas, c’était sur la fougère,
A Montreuil, que causaient, comme on cause à Paris,
Au coin du petit bois, deux lièvres, père et fils ;
L’un, jeune conseiller, l’autre, vieux doctrinaire.
Les avis du vieux lièvre étaient de bons avis;
J’en conviens : pourquoi donc les ai-je mal suivis ?
Pourquoi ? demandez à mon père ;
C’est sa faute. Mon père, en s’interrogeant bien,
Vous dira : « Demandez; ce fut le tort du mien :
Et le mien, comme moi, d’humeur trop volontaire.
Comme moi s’en plaignait, rejetant sur le sien
De cette infirmité la coulpe héréditaire.
Pardon, messieurs ; n’a pas qui voudrait le profit
D’être race de lièvre : il plut au ciel nous faire
Une bile rebelle au flegme qu’il leur fit.
Et si, quand l’honneur parle, il lui fallait se taire.
Un seul mot retenu nous donnerait l’ictère. »
Eh bien, hommes prudents qui me montriez au doigt.
Demandez-vous encor quelle mouche me pique ?
Vous qui savez si bien vivre, sachez qu’on doit,
Par raison physiologique,
Ajuster son régime à son tempérament,
A son mal sa thérapeutique.
Ce qui ferait chez vous bon chyle assurément,
Chez moi serait erreur d’hygiène pratique.
Si pourtant je me trompe, et qu’un engorgement
Soit preuve de bon jugement ;
Si pour devenir sage il faut être splénique ;
Enfin, si pour bien vivre il convient se tuer,
Dites; et, condamnant ma rate à s’obstruer,
Du Journal de Paris j’avale la logique.
Mais, sur l’heure, j’envoie au chevalier Portal,
Pour qu’au premier symptôme il combatte le mal,
Et prévienne la fièvre hectique.
Les Lièvres père et fils, Victorin Fabre