Léon Chabuel Oback
Poète et fabuliste contemporain – Les Misérables Destins
Un paysan nommé Saliou
Fut lassé de sa misère.
« D’un bout de l’année à l’autre bout,
Réfléchit-il,
Je ne trouve guère
Un radis.
Les autres ont femme et enfants,
Jamais cet honneur-là ne fut à ma portée.
Dois-je atteindre ainsi la fin de mes ans ?
Quelle existence obscure et toujours attristée !
Il ne m’est point donné de jouir,
Je naquis pour tout juste attendre de mourir !
A cette situation fatale,
Saliou ne se résignait point.
Il prit au contraire
Une décision radicale,
Étonnante pour le moins.
Qu’importe l’itinéraire,
Il ira jusque chez Dieu
Connaître la raison cachée
D’un sort si malheureux.
Sa lance empoignée
Simplement en guise de support,
Saliou s’engagea.
Soudain, sur la voie un ogre l’arrête.
Devant la menace de mort,
L’homme exposa
Qu’auprès du Créateur il s’en allait en quête
De la raison de ses ennuis.
« Bon ! dit l’ogre, pour mon compte aussi,
Demande à ce Dieu quelque avis salutaire. »
Plus loin Saliou passe devant
Une fille très curieuse.
– Tu dois avoir quelque affaire
Qui t’agite, paysan.
Où t’en vas-tu de mine tant soucieuse ?
– Puisque tu veux savoir, ma mie,
Jamais je ne trouve argent
Ni compagne pour me distraire.
Trop misérable est ma vie.
Je vais de ce pas hardiment
Demander une explication claire,
A Dieu lui-même, sur mon destin.
– C’est bon. De même aussi pour moi,
Demande à Dieu ce que je dois faire.
J’éprouve bien du chagrin :
Nature a voulu que je sois
Une fille trop belle.
Tout homme veut m’épouser.
Les prétendants se combattent jour et nuit.
La lutte est telle
Que nul ne parvient à s’imposer,
Et je n’ai toujours pas de mari !
Saliou trouve un baobab
A la cime flétrie
S’agrippant avec embarras
Par ses contreforts
L’arbre se penche vers le passant.
– Tu sembles rêver bien fort.
Quelle serait ta peine ?
Dis donc, paysan !
Une fois encore Saliou raconta
Sa misérable destinée humaine
Et l’objet de son pèlerinage.
– Je comprends, scanda t-il,
Demande aussi pour moi, je t’en prie,
A quoi tient mon désavantage.
Je me porte comme agonisant,
Au sein d’une nature épanouie !
Saliou reprit sa marche en avant.
Tout à coup, sans qu’il s’y attende,
Le sentier se couvrit
D’une brume opaque devant lui.
Du bon Dieu Saliou reconnut la présence.
Sans tarder il voulut
Formuler sa doléance,
Mais Dieu le rassura :
« Depuis ton départ je t’ai vu,
Je connais ton inquiétude
Et tous les autres cas.
Sois assuré de ma sollicitude.
Attends ton heure tant qu’elle n’est pas venue.
A l’arbre tu rapporteras :
Ses racines, d’eau mal pourvues,
Ont peine à le nourrir dès lors.
Qu’il se libère donc de ce trésor
Pour recouvrer bonne sève…
Que la belle fille n’attende plus.
Qu’elle-même se désigne,
Pour combler son rêve,
L’homme jugé le bienvenu.
Quant à l’ogre, s’il veut ma consigne
Pour ne point causer dommage,
Je lui prescris ma volonté :
Qu’il épargne l’être sage,
Et ne dévore que l’insensé
Baobab, justement, dit à Saliou :
– De grâce,
Prends tout cet or et m’en débarrasse !
L’homme répondit, tournant le dos :
– Quant à moi, j’attends mon heure !
La fille prit le messager au mot :
– Sois mon époux dorénavant
Et que ta femme je demeure !
Mais carrément,
L’homme s’éloigna,
Disant qu’il attendait son heure.
L’ogre l’ayant en détail écouté,
Le dévora.
Raison majeure :
Cet homme était bien insensé.
Donc ainsi boucla Saliou son périple.
Dégageons le fond sensible :
Dans notre infortune, enfin,
L’on doit s’accuser soi-même, et non le destin.
Léon chabuel Oback
Fables Universelles (Livre II)
- Editions Edilivre
- Livre de fables de Léon Chabuel Oback
- Léon Chabuel Oback, fabuliste contemporain