Les oies et les fermiers
Un jour, les oies furent lasses de pondre des œufs et de les élever en beaux oisons riches de graisse et de chair. A quoi bon, en effet, tant de peines et de soins affectueux, puisque les fermiers les leur prenaient un à un, les vendant ou les mangeant eux-mêmes pour mener large vie ?
Elles résolurent donc, non pas de cesser toute ponte, — elles étaient trop bêtes pour savoir comment s’y prendre, — mais d’écraser l’œuf ou de tuer l’oison qui viendrait encore au monde. Ainsi fut fait, et elles en furent ravies ; car la juste pitance à elles naguère octroyée était maintenant suffisante. Les fermiers, eux, le furent moins, ayant moins de profits. Leur escarcelle se remplit moins ; ils vécurent moins à l’aise, durent même se priver. Cela ne pouvait durer. À tout prix, il fallait savoir pourquoi les oies rapportaient moins. Ils firent donc surveiller leurs troupeaux par des gardeurs plus vigilants. Une oie fut surprise en train de tuer à coups de bec un oison naissant. Devant le troupeau des oies immédiatement assemblées, un des fermiers, se parlant à lui-même : « Ah ! gredine ! tu extermines tes petits ; tu ne veux pas que je les mange, ou que je m’enrichisse et vivre heureux en les vendant ! » tordit le cou à la malheureuse. Prises de peur, les autres oies applaudirent des ailes, et aussitôt se remirent à pondre et à couver. Dès lors, les fermiers, trafiquants d’oisons superbes, retrouvèrent la vie facile et heureuse d’autrefois.
Cette fable n’en est pas une, parait-il.
— On m’a conté que pareille chose se passe parmi les hommes, où les gens du peuple sont les oies, et leurs enfants, les oisons que les riches et les puissants, leurs fermiers, tuent, à la guerre, à l’usine, aux champs, pour vivre une vie joyeuse
A.L.