Rouget de Lisle
Poète et fabuliste XVIIIº – Les oies
Quand on a qu’un titre de noblesse pour seul mérite ! Rouget de Lisle nous le rappelle sous forme d’apologue.
Une longue perche en main,
Pierrot, au marché voisin,
Menait une troupe d’oies,
Et, pressé qu’il était, très peu civilement
Les hâtait, les chassait, les poussait en avant,
Sans les laisser d’un pas s’écarter de leurs voies.
De colère gonflés, nos oiseaux cheminaient,
Et de leur guide entre eux, vivement se plaignaient,
Quand survient un passant. Tous, à rompre la tête,
Les voilà de piailler en dressant leurs longs cous :
— Voyez, homme de bien, voyez comme nous traite
Ce rustre, ce manant. Des oisons tels que nous !
Nous descendons tout droit de ces saintes volailles
Qu’on vit du Capitole affranchir les murailles.
Karamsin et d’Hozier sont d’accord sur ce point,
— Messieurs, je les en crois, et la fidèle histoire
De ces nobles auteurs a consacré la gloire ;
Mais ça, parlons de vous. Vous ne dérogez point,
J’espère et soutenez une origine illustre ?
— Vraiment, de nos aïeux nous partageons le lustre.
— Mais vous, Messieurs, mais vous ?. — Nos ancêtres… — Fort bien ;
Mais vous, quels sont vos droits ? qu’avez-vous fait ? — Nous ?… Rien.
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Si je voulais mater les insolentes joies
De tant d’oisons sans palme aux airs pleins de hauteur,
Quel texte à commenter !… Chut ! indiscret censeur !!
Le temps présent est l’arche du Seigneur :
Ne faisons pas crier les oies.
Rouget de Lisle
Annales romantiques: recueil de morceaux choisis de littérature contemporaine.
Urbain Canel, librairie, Paris, 1826