A Madame Chaptal, marraine d’Anna Crouzet
Une Fauvette au doux ramage,
A l’air vif, au joli corsage,
Dans un bois de Paphos venait de mettre au jour
Un tendre fruit de son amour.
Joyeux événement pour la gent emplumée !
Car Fauvette en était aimée.
L’Aigle, roi des oiseaux, d’un regard doux et fier,
Sourit du haut des cieux à l’embryon d’hier ;
Et, si l’on croit maint auteur sage,
Sans les soins de l’état, le monarque des airs
Eût un instant laissé le séjour des éclairs
Pour être parrain au bocage.
— Parrain ! le trait est fort. — Pourquoi ? les animaux
Sont à peu près ce que nous sommes ;
Et les oiseaux singent parfois les hommes,
Si ce n’est nous qui singeons les oiseaux.
Mais revenons à la nichée :
Non loin de la jeune accouchée,
Une aimable Colombe, au plumage éclatant,
Au bec de rose, au cou d’argent,
Vivait solitaire et cachée.
Du bosquet toutefois elle était l’ornement.
Tendre mère, épouse fidèle,
Elle avait tout ; bon cœur, esprit, grâces, vertus :
Et Minerve la prude, en la voyant si belle,
Eût troqué son oiseau pour l’oiseau de Vénus.
Chacun sait que de la déesse
Le casque est orné d’un hibou :
Bel emblème de la sagesse
Qu’un oiseau qui vit dans un trou !
Or maintenant, l’époux de Colombe mignonne
Etait un beau Ramier, sage et galant mari ;
Pour l’Aigle altier, dans ce bosquet fleuri,
Gouvernant en docte personne,
Et son ministre favori.
Qui dit ministre, dit affaires :
Notre Ramier ne pouvait guère
Quitter, fût-ce un moment, pour l’enfant nouveau-né,
L’oiseau qui porte le tonnerre :
Mais sa douce moitié, sa Colombe si chère,
Cet autre lui, modèle fortuné
De l’art d’aimer, de l’art de plaire,
Voulut le remplacer dans ce soin paternel :
A Fauvette au berceau promit une autre mère,
Et, si jamais l’Autour cruel
Osait… Colombe, au nom de l’Aigle tutélaire,
Prédit la foudre au téméraire.
Je le laisse à penser ; sous cet auspice heureux,
Le baptême alla pour le mieux.
La marraine en robe d’albâtre
Faisait, d’un air décent, les honneurs du banquet ;
Banquet joyeux pourtant, car le compère était
Un Pinson à l’humeur folâtre,
Quoique savant sur plus d’un fait.
Il ne manquait rien à la fête ;
Quand un Merle fut introduit :
Merle avisé, mais jeune tête,
Où, disait-il, nature avait mis trop d’esprit.
Orateur en habit d’ébène,
Député du peuple oisillon,
En cortège il venait haranguer la marraine,
Puis la mère, puis le poupon :
Immense carrière, où l’haleine
Eut manqué même à Cicéron !
Le Merle… resta court à la péroraison.
Qu*arriva-t-il ? fureurs subites.
Vous eussiez vu soudain ses légers acolytes,
Et Linots et Bouvreuils, fondre à la fois sur lui ;
Œil en feu, bec ouvert, vengeant l’affront d’autrui.
Le soleil crut revoir le festin des Lapythes.
Mais il n’en eut que la peur.
La Colombe complaisante,
D’une aile compatissante
Sur l’infortuné rhéteur
Etend l’ombre caressante :
Au doux signal de la paix,
Fuit la guerre menaçante ;
Un seul jour vît deux bienfaits :
De la Fauvette gentille
Qui la presse sur son cœur
Colombe adopta la fille,
Et rendit un sot parleur
A l’amour de sa famille.
Ainsi fait, l’assemblée en chantant se leva ;
Sur l’aile du plaisir chacun prît la volée ;
Et, dit-on, chez la gent ailée,
Comme jour de fête, on chôma
Tout le reste de la journée,
Et le lendemain par-delà.
“Les Oiseaux”
- Jean-Nicolas-Marie Deguerle – 1766 – 1824