Tout Paris s’agitait, et du palais des rois
Jusqu’à l’obscur réduit où veille l’indigence,
Du nouvel an partout on fêtait la naissance :
La richesse et le goût s’unissaient à la fois ;
Et puis, en pareille occurrence,
L’ami sait d’un ami quelle est la préférence,
Et, pour garder au cœur un touchant souvenir,
Une fleur peut suffire, à qui la sait cueillir
Dans les sentiers si doux où la reconnaissance,
Rêvant des jours passés, se complaît à vieillir.
L’espérance apparaît riante et couronnée
De l’étoile, brillant au regard qui la suit,
Laissant l’oubli du mal fuyant avec l’année,
Fermée à la dernière nuit.
Tout est plaisir, et le calme et le bruit.
Si le vieillard, hélas! Sent tomber une larme
Sur le front de l’enfant, fruit d’un dernier amour,
Elle vient, sans douleur, bénir un si beau jour ;
Car auprès de son père, avec un même charme,
Il se voit dans le fils qu’il embrasse à son tour.
Or, de son lit, une petite bête
Suivait d’un œil un peu quêteur
Les apprêts destinés à célébrer la fête
Du jour, pour les enfants si rempli de bonheur :
— Ah ! Pensait-elle, on va me choyer, pauvre vieille !
Car chacun sait ici mes services passés.
Je vois mes beaux ans éclipsés ;
Mais en faisant demain comme je fis la veille,
Pour être’ encore aimée, à coup sûr, c’est assez.
Cependant on venait vers les tables chargées,
Grands et petits, s’empressant pour mieux voir
Ce que chaque enfant, en espoir,
Tenait déjà… pralines et dragées.
A les croquer enfin on se met en devoir,
Et Florine, en son cœur, a la douleur amère
De voir distribuer sucre, bonbons et tout,
Sans en pouvoir sentir le goût.
Oh! C’est qu’elle eût voulu se servir la première
A cet exquis et succulent repas !
— Trop vieille que je suis pour quitter ma litière,
Dormons, dit-elle en baissant sa paupière ;
Adieu sucre et douceurs que j’aimais tant, hélas !
D’ailleurs je suis un peu trop fière
Pour me résoudre à mendier ;
Tant pis pour les ingrats qui peuvent oublier
Ce que pour eux jadis ma jeunesse a su faire.
Elle avait tort de se fâcher,
Car voilà qu’une voix, doucement argentine,
S’élève tout à coup : — Nous oublions Florine,
Dit-elle ; pauvre amie, elle ne peut marcher !
Et chacun de Florine aussitôt d’approcher ;
Pralines de pleuvoir et tomber à la ronde
Sur la couchette, où, de son œil mourant,
Florine jette une caresse au monde
Quelle accusait au même instant.
De ses jeunes amis lui viennent les largesses.
Et riche de leurs dons, elle se dit alors :
— La jeunesse envers nous a quelquefois des torts,
Mais les vieillards aussi veulent trop de tendresse,
De petits soins et de douceurs ;
L’oubli semble à leurs yeux le plus grand des malheurs !
Moi-même, tout à l’heure, exigeante et chagrine,
Je me plaignais de ces jolis enfants,
Condamnant les plaisirs de leurs cœurs bienveillants,
Et cela pour une praline !
Sachons-nous méfier d’un premier mouvement,
Car, voilà comme il est possible
De porter un faux jugement,
Et soi-même d’être méchant
Quand on a l’esprit susceptible.
“Les Pralines du jour de l’an”