Denis Charles Henri Gauldrée-Boileau
Deux renards, le fils et le père,
Roulant dans leurs cerveaux cent projets ennemis,
Dès que minuit sonnait, d’une marche légère
Se glissaient à travers les hameaux endormis.
Ils désolaient le voisinage ;
Pas un seul poulailler à l’abri de leurs dents.
Le père en savait long : rien n’instruit comme l’âge !
Et le fils était assez sage
Pour suivre ses conseils prudents.
Or une fois, au bout d’une prairie,
Entre un chemin creux et les champs,
Certaine cour de métairie
S’offrit ouverte aux deux brigands;
Mais une lampe encor brûlait dans l’écurie ;
On entendait mainte porte crier,
Chanter le coq, et le chien aboyer.
L’attaque ici ne serait pas facile ;
Allons-nous-en, dit le vieillard futé.
Et dans un lieu moins écarté,
Ils trouvèrent plus loin une cour plus tranquille.
Le fils n’ouït pas sans frayeur
Des canards jaboter ensemble.
« Ah ! mon père, que vous en semble ? »
S’écria-t-il. « Bah! dit le vieux pécheur,
» Tout dort, garçon, fermier, fermière ;
» On est sans chien et sans lumière ;
» Ce bruit est plutôt fait pour réjouir le cœur.
» Il dit, prend son élan et franchit la muraille ;
Son fils le suit ; tous deux à petits pas
Entrèrent dans le fort qu’habitait la volaille.
Leur appétit glouton y porta le trépas :
Gorgés des canards les plus gras,
Au point du jour gagnant la plaine,
Ils allèrent en paix digérer le repas
Dans leur demeure souterraine.
On respecte un état, quand le peuple se tait,
Et quand le gouvernement veille ;
Mais on peut aisément, quand le pouvoir sommeille,
Triompher d’un peuple indiscret.
“Les Renards”