Saint Ange a le cœur bon, l’âme compatissante.
Un poulet qu’on égorge, un lièvre ensanglanté
Font frissonner sa sensibilité.
Aux cris plaintifs de leur voix expirante,
Il pâme de douleur ou fuit épouvanté.
Mais saint Ange est gourmand ; et, quand la nappe est mise
Quand du malheureux lièvre et du pauvre poulet
Son odorat aspire le fumet,
Qu’il dépèce leur chair exquise,
Adieu pitié, scrupule et souvenir dolent.
Ce n’est plus qu’un mets succulent,
Que savoure sa gourmandise.
Saint Bris parle toujours d’honneur et de vertu.
De conscience et de droiture;
A la plus faible créature
Il n’oserait faire tort d’un fétu.
Mais des immenses biens que lui légua son père,
Vieux croquant par la fraude et l’usure enrichi,
Saint Bris jouit en paix sans remords ni souci,
Et du haut de son char jette boue et poussière
Sur la veuve et sur l’orphelin,
Que son père a laissés sans refuge et sans pain.
Saint Luc s’est fait un nom dans la littérature.
Il aime fort la gloire et la veut noble et pure.
L’intrigue est à ses yeux une honte, un ennui.
Mais il a des amis qui cabalent pour lui,
Et, contre ses rivaux déchaînant leur critique,
Remplissent l’univers de son panégyrique.
Il le sait, il l’oublie; et fou de vanité,
Etourdi du vain bruit que fait sa renommée,
Se pavanant dans sa fumée,
Il jette au nez de tous son immortalité.
Je sais bien d’autres saints que sans doute on devine;
Mais je m’en tiens à ces trois-là,
Et dis que, pour jouir en paix de ce qu’on a,
Il ne faut pas toujours en chercher l’origine.
“Les trois Saints”
- Jean-Pons-Guillaume Viennet 1777 – 1868