Fables et poésies de Jean de La Fontaine
Une fument de taille et d’encolure fine,
Fille de défunt Bucéphal,
Voulant perpétuer sa race chevaline,
Afin d’y procéder, attendit un Cheval,
Mais un Cheval de belle taille,
Propre pour un jour de bataille,
Issu de père en fils de l’illustre Bayard.
Toutefois, un Baudet infâme,
La rencontrant seule à l’écart,
Eut la témérité de lui conter sa flamme.
D’abord, rebutant ce grison,
Elle le menaça de cent coups de bâton,
Lui fit le pet et la ruade.
Mais, lui, sans s’étonner de cette pétarade,
Se rapproche fort humblement
Et d’un ton enroué lui fait son compliment:
« Si je n’ai pas si bonne mine
Que l’époux que l’on vous destine,
Madame, lui dit-il, sachez qu’en fait d’amour
Je suis un vrai Saucour
Et l’étalon de tout le voisinage. »
Et par là l’étalon sut si bien l’engager,
Qu’il trouva l’heure du berger.
Moult j’en connois qui font fort bonne mine
Et sont du goût de la Jument,
Et n’importe qui ni comment,
Pourvu qu’il ait bon râble et bonne échine.
Mais le proverbe aussi chez elles va changer,
Car c’est l’heure de l’Ane et non pas du Berger.
1. Cette fable est imprimée, sans nom d’auteur, à la page 138 d’un recueil intitulé : Voyage de MM. de Bachaumont et de La Chapelle, avec un mélange de pièces fugitives tirées du cabinet de M. de Saint Evremont (Utrecht, Fr. Galma, 1697), très-bon recueil dans lequel on trouve plusieurs pièces de La Fontaine. Celle-ci peut lui être attribuée avec d’autant plus d’apparence de raison, qu’on y reconnaît sa doctrine en amour aussi bien que sa manière de dire les choses. On se souviendra que l’heure du berger fut une des préoccupations de la vie galante de La Fontaine, qui pourrait bien avoir donné à son ami Champmêlé l’idée de la comédie de l’Heure du Berger.(L’Heure du Berger, fable de La Fontaine)