Paul Vallin
Poète, romancier et fabuliste contemporain – L’Homme et le Rossignol
Il y a fort longtemps, quand tous les Êtres parlaient,
Un villageois tendait, une fois l’hiver passé,
Des pièges pour attraper les oiseaux qui chantaient.
Ce passe-temps, d’ordinaire, se fait dans la froidure,
Mais les haies d’aubépines avaient déjà pris feuilles,
Il y avait des fleurs dans les prés du moulin,
Le printemps rendait vie à la nature dormante.
Mais la chance voulut bien servir cet attardé,
Il prit un Rossignol dans les mailles d’un filet.
Il allait l’étouffer pour le mettre en besace
Quand d’une voix sifflotante le Rossignol lui dit :
– « Homme ! Que vas-tu gagner à me tuer ce jour ?
Soupèse-moi, vois ! Je ne garnirai pas ta panse…
Rends-moi la liberté, et je te donnerai
Trois conseils de sagesse qui pèsent bien plus que moi.
Ils te feront profit pour le reste de ta vie
Si tu sais les entendre dans ton vacarme d’esprit ; »
– « Rossignol je te jure de te laisser partir
Si tes conseils sont bons ainsi que tu le dis. »
Répondit l’être humain à l’oiseau prisonnier.
– « Premièrement, sois patient : ce qui est hors d’atteinte,
Ne te mets pas en peine de l’atteindre aujourd’hui !
Deuxièmement : pour ce qui est perdu, sans recours,
Ne te mets pas en regret de l’avoir perdu !
Troisièmement : pour ce qui serait hors de créance,
Ne t’en vas pas follement le croire pour du vrai ! »
Stupéfait et bouche bée, le piégeur écoutait
Cette philosophie d’une logique de vie.
Il balança un peu, puis il ouvrit la main,
Le Rossignol alors s’en alla se percher
Prudemment, à distance, dans les branches d’un sapin.
– « Homme, sot que tu es ! Tu m’as laissé aller,
Sache-le maintenant, j’ai là, sous mon jabot,
Une perle plus grosse qu’un œuf, même plus grosse que ton poing ! »
Voilà notre villageois mis dans tous ses états,
Ne pensant qu’au trésor qu’il a tenu en main,
Et que, par ignorance, il a laissé filer.
Mais comment la reprendre, cette fortune manquée ?
Il se fait de la bile, en attrape une jaunisse,
Il tente alors d’appeler le Rossignol perché,
Lui promettant bonheur, richesse, célébrité…
– « Pauvre Homme ! lui répondit Rossignol dans son arbre,
Qu’as-tu fait des conseils que je t’avais donnés ?
Me voici hors d’atteinte, et tu tentes de me prendre !
Je suis perdu pour toi, et tu es au regret !
Il est hors de créance que j’aie dans mon jabot
Une perle plus grosse que moi, et pourtant tu le crois !
Mes trois conseils, vois-tu, méritent ton attention. »
Sur ce le Rossignol s’envole vers les nuées,
Le Villageois penaud, reste dans ses sabots.
Paul Vallin