Un fou s’était mis dans la tête
Que son Ombre avait tort de le suivre en marchant ;
El quand il lui disait : arrête,
Voulait que celle-ci s’arrêtât sur-le-champ.
Ce n’était guère sa nature.
L’Ombre suivait le corps, bougeait quand il bougeait ;
Et réglant sur lui son allure,
Marchait par-ci, par-là, de droite à gauche allait.
L’Homme indigné faisait vacarme ;
Un glaive en main, courait après,
Menaçait, tempêtait et frappait de son arme
L’image qui n’en pouvait mais.
En cet endroit passait un sage.
Qu’avez-vous ? Lui dit-il. En veut-on à vos jours ?
Peut-être à votre femme a-t-on fait quelque outrage ?
Parlez, je vole à son secours.
— Il ne s’agit, je crois, de ces choses pour l’heure.
— Mais à qui donc en voulez-vous ?
— A mon Ombre, dit-il. Je veux qu’elle demeure
Quand je marche ; insensible aux coups,
La malicieuse s’avise
De me désobéir, et fait tout à sa guise ;
C’est ce qui me met en courroux.
— Vous avez, un moyen facile
De l’empêcher d’aller, sans tant vous tourmenter,
Dit le sage aussitôt : c’est de vous arrêter,
Et l’Ombre restera tranquille.
Ceci s’adresse à vous, pères, mères, parents,
Qui prêchez les devoirs à la tendre jeunesse,
Et gourmandez dans vos enfants
Des défauts qu’en vous-même ils surprennent sans cesse.
Voulez-vous recueillir le prix de vos efforts ?
Pratiquez à leurs yeux la vertu, la sagesse ;
Ils vous imiteront : c’est l’ombre de vos corps.
“L’Homme qui veut corriger son ombre”