Un homme à qui la mort, à force d’y songer,
Rendait la vie insupportable,
Pour médecin un jour choisit son horloger :
Choix par lequel il crut se sauver du danger
Qu’on court entre les mains d’un docteur véritable.
C’était la nuit surtout que cet homme craignait
De l’infernale faux l’invasion subite.
Encor faut-il du moins savoir l’heure qu’il est
Quand la Mort, disait-il, vient nous rendre visite.
Faites-moi, sans grands frais, monsieur George, un réveil,
Qui sonne l’heure et la demie.
Monsieur George obéit, et voilà du sommeil
Les pavots dispersés par cette sonnerie ;
Voilà notre hypocondre agité de la peur
D’entendre sonner l’heure et de perdre la vie :
Il maudit l’horloger qui, doublant sa terreur,
Lui cause une double insomnie.
Celui-ci prend alors le ton d’un vrai docteur :
Je ne vois, lui dit-il, dans votre maladie
Qu’une sombre et triste vapeur
Que ce réveil aurait guérie,
Si vous ne m’aviez pas prescrit l’économie.
Payez-en plus cher la façon,
Et j’y vais adapter un brillant carillon
Qui chassera soudain celte mélancolie.
— Soit, dit le vaporeux. Inutile industrie ;
Dans un cerveau timbré tout se change en poison.
Le carillon en vain à toute heure varie ;
La peur saisit d’abord notre homme au premier son,
Et comme une longue agonie,
Tant que dure chaque air, lui donne le frisson.
A la fin il perdit courage.
Mais pourquoi de la mort ainsi se tourmenter ?
Cet homme, il n’en faut point douter,
Avait fait de la vie un criminel usage.
Quiconque ici-bas vit en sage
Et des arrêts du ciel n’a rien à redouter,
Bravant jusques au bout les dangers du voyage,
Prend les heures sans les compter.
“L’Horloge à Réveil“