André-Clément-Victorin Bressier
Le plus rigoureux des hivers
Depuis deux mois entiers attristait la nature ;
Plus de grains, plus d’arbustes verts :
Aux sillons de neige couverts
Vainement les oiseaux demandaient leur pâture.
Les chantres du printemps avaient perdu la voix ;
Tristes, les ailes engourdies,
Ils quittaient la plaine et les bois
Pour s’approcher des métairies.
On les voyait errer à l’entour des hameaux.
Le timide oisillon, devenu téméraire,
Oubliait le danger des filets, des gluaux ;
Comme notre raison, l’instinct des animaux
Est altéré par la misère.
Un pinson descendit un jour
Auprès des oiseaux domestiques,
De la ferme hôtes pacifiques,
Qui prenaient leur repas dans une basse-cour ;
Et, du ton suppliant qui sied à l’indigence :
« Ayez, leur disait-il, pitié de ma souffrance,
Laissez-moi prendre un peu de grain ;
Depuis l’aube je cherche en vain
De tous côtés ma subsistance.
Ne me rebutez pas, hélas ! je meurs de faim,
Et vous êtes dans l’abondance. »
Certain oison, imbécile et méchant,
Ne fut point attendri par ce discours touchant.
« Eh quoi ! dit-il, d’un nouveau parasite
Aurons-nous chaque jour la fâcheuse visite ?
Vagabond, gourmand, paresseux,
Toi pénétrer ici ! d’où te vient cette audace ?
Retire-toi, si tu ne veux
Qu’à grands coups de bec je te chasse. »
Tandis que l’égoïsme insultait au malheur,
Un coq plus généreux disait à ses compagnes :
« Ce pauvre exilé des campagnes
Du froid et de la faim éprouve la rigueur ;
Il faut l’accueillir comme un frère :
Grâce aux soins de la ménagère,
Le besoin nous est inconnu :
Abandonnons le superflu
A qui manque du nécessaire. »
Au sultan emplumé chacun était soumis :
L’oison s’éloigna sans mot dire,
Et l’affamé pinson, qu’il voulait éconduire,
Parmi les commensaux ce jour-là fut admis.
Ô vous que le sort favorable
A comblés de ses dons, soyez compatissants ;
Et des miettes de votre table
Faites la part des indigents.
“L’Oiseau des champs et les Oiseaux de basse-cour”