Marie de France
L’Oiseau de St. Martin et Marie de France
L’arondelle et des oiseaux
Marie de France, poète du XIIIe siècle, née en Normandie, a donné, dans son recueil de fables, celle de l’arondelle et des oiseaux.
« A la vue du premier champ de lin qui fut ensemencé, l’hirondelle au vol léger, à l’œil pénétrant, devina que celte plante serait employée à faire des rets pour prendre les oiseaux. Elle leur conseilla en vain de manger ces grains ; et elle-même, ayant réuni sa famille, fit un accord avec le laboureur ; celui-ci souffrira dans sa maison le nid de l’arondelle, et nul oiseau de son espèce ne nuira aux champs de lin. »
Puis s’est su Vilain accordée
K’en sa maisun sufri sun ni ;
Là furent si oisel nurri,
Et el duna à sun lin paix.
Ce serait, selon une superstition normande, avec un petit oiseau de cette famille qu’aurait été fait le pacte primitif du cultivateur ; ce serait avec le martinet, plus petit que l’hirondelle, moins agile, ayant mêmes mœurs, même plumage. Le martinet, comme elle, a son logis sur les fenêtres, sous les toits des maisons, et il revient souvent, plusieurs années, dans le même nid.
Lorsqu’à l’automne, la paysanne arrache les dernières tiges de chanvre, elle laisse en réserve le plus gros épi : celui-ci restera en sa place, chargé de ses grains ; personne n’y touchera ; il y demeurera jusqu’à ce qu’il faille préparer la terre à un nouvel ensemencement. Cet épi est destiné au petit oiseau favori de saint Martin. Si un voleur l’arrache, une fièvre maligne sera bientôt le châtiment de son impiété.
Un champ de lin (ou chènevière) est la richesse de la bonne ménagère. Vous voyez peu de chaumières sans un petit jardin, et plus loin, un petit champ contigu, planté de chènevis, qui doit fournir la quenouille des veillées. Après un long travail, une toile, blanchie à la rosée des près, deviendra le trésor de la patiente fileuse.
Voici ce qu’elle vous raconte : Le premier qui, dans le pays, cultiva le chanvre, était fort inquiet à l’époque de sa récolte. S’il s’éloignait de son champ pour les offices des dimanches et des fêtes, une nuée d’oiseaux venait s’y abattre. Le laboureur implora l’aide de saint-Martin, qui est l’apôtre de l’ouest de la France, où sa mémoire s’est constamment maintenue dans les populations rurales. Or, à la voix du saint patron, un dimanche, tous les oiseaux du voisinage se rassemblèrent dans une grange ouverte, et y demeurèrent durant l’office de la paroisse. Cette merveille se renouvela jusqu’à l’entière récolte du chanvre ; une simple herse de labourage, placée au seuil de la grange, suffisait pour y retenir tous ces essaims turbulents d’oiseaux. Le martinet, innocent et familier, avait seul le privilège de passer et repasser librement à travers les barres de la herse ; mais il s’éloignait peu et n’allait pas nuire au champ.
Depuis lors on a toujours laissé le plus bel épi de chènevis pour le petit oiseau de saint-Martin.
Cette coutume d’un peuple ingénu, qui se rattache évidemment au berceau du christianisme dans l’ouest de la France, a subsisté jusqu’à nos jours. La puérilité d’une croyance populaire n’est-elle pas quelque peu rachetée à vos yeux par quatorze siècles de durée ?
Florent Richomme
L’Artiste – Aux bureaux de L’Artiste, Paris, 1842.