A certain laboureur le plus sage des rois
En songe apparut une fois :
« A tes pieds, lui dit-il, contemple
La fourmi, du travail suivant les saintes lois,
£t son activité te servira d’exemple. »
A ces mots s’envola l’ombre de Salomon.
De la charrue alors saisissant le timon ,
L’homme aux champs chaque jour allait ayant l’aurore.
A quatre-vingt-dix ans il labourait encore,
Lorsqu’un soir reparut l’antique Vision :
« Eh quoi! jusqu’à la mort tu travailles ? dit-elle.
— Vous m’offrîtes jadis la fourmi pour modèle. ..
— Mais, l’été, la fourmi fait sa provision
Pour vivre, dans l’hiver, à l’abri de l’orage :
L’hiver, c’est la vieillesse, et l’été le jeune âge :
L’homme a droit au repos ainsi que la fourmi. ..
— Sans relâche au travail la misère m’enchaîne,
Car le travail du jour au jour suffit à peine.
— N’as-tu pas quelque fils ou quelque jeune ami
Dont le bras vigoureux du travail te dispense?
— Comme moi, pour compagne ils ont la pauvreté!
— Au laboureur, grand Dieu, donne sa récompense !
Dit l’ombre; accorde, en ta bonté,
Un travail fructueux à l’ardente jeunesse,
Et du repos à la vieillesse ! … »
“L’Ombre de Salomon et le Laboureur”
- Pierre Lachambeaudie – 1806 – 1872