Denis Charles Henri Gauldrée-Boileau
Un Orateur, éloquent et cité,
Mais ayant fort mauvaise vue,
Un jour dans un salon , qu’ornait mainte statue,
Se mit à pérorer, se croyant écouté.
Personne ne bougeait, tout gardait le silence.
Content de rassemblée, il déclama long-temps
Contre la perfide influence
Que sur nous exercent les sens.
Les attentifs et muets personnages
Dont il recherchait les suffrages,
Avaient du ciseau du sculpteur
Reçu différents traits : l’un figurait l’Envie,
L’autre l’Ambition ; puis venait la Fureur,
Puis l’Enfant dangereux connu par ses caprices ;
Puis sa vindicative et défiante sœur,
La Jalousie : en un mot, tous les vices.
Certain passant avertit l’Orateur
Du genre de son auditoire.
« Vous parlez, dit-il, à des sourds,
» Et compromettez votre gloire ;
» C’est aux hommes qu’il faut adresser vos discours.»
Riant de sa méprise… « En m’adressant aux hommes,
» Répliqua l’Orateur, au beau siècle où nous sommes,
» Je n’aurais pas plus de succès :
» Car ils sont sourds, et ne sont pas muets. »
“L’Orateur et les Statues”