Un orme droit et bien fait
Aurait dû. de son sort être très-satisfait;
Mais, peu content des dons de la nature,
Il voulut d’un lierre emprunter la parure.
Il était loin de lui, comment s’en approcher?
C’était donc au lierre à le venir chercher:
Ce n’est pourtant guère l’usage,
Que qui peut nous faire plaisir
Prévienne notre désir.
Aussi l’ormeau lui tint-il ce langage :
Voisin, soyons étroitement liés;
Tu rampes, on te foule aux pieds,
Cela me fait peine et m’outrage :
Toi qui n’es pas sujet aux injures du temps.
Et toujours vert, toujours en ton printemps,
Ta serais enfoui? Non, ce serait dommage;
Approche-toi, je serai ton appui.
Le lierre à l’instant prend au mot l’étourdi,
Il change de route et de forme;
Il se dresse et s’applique intimement à l’orme,
Qui d’abord ne s’aperçut pas
Que le lierre était une parure vaine
Dont peut-être trop lard il ferait peu de cas.
Au bout d’un temps : Cela me gène,
Se dit l’ormeau; lierre, mon ami.
Si tu voulais avoir moins de tendresse
Et t’écarter un peu de moi… Qu’est-ce ceci!
Quoi ! de plus en plus il me presse !
Et je m’aperçoit! chaque jour
Que je n’y puis tenir. Il fait nouvelle plainte,
Et le lierre est toujours sourd.
A la fin, la voix presque éteinte,
L’orme suppliait humblement
Qu’on vînt lui donner assistance,
Et qu’on le délivrât de ce vain ornement,
Mais ce fut inutilement ,
Il mourut étouffé de sa magnificence.
Que d’hommes dans ce cas! on les voit désirer,
Briguer avidement ce qui leur est contraire ,
Par de brillants emplois on se fait admirer,
On en impose au stupide vulgaire :
Mais tous ces beaux emplois ressemblent au lierre,
Ils ruinent souvent ce qu’ils semblent parer.
“L’Orme et le Lierre”