Un orme au tronc obèse, au front chargé d’ombrage
Dans la haute futaie élevait ses rameaux.
Un doux myosotis, la fleur aux bleus émaux,
Végétait à ses pieds, seul, sous l’épais feuillage
Qui lui voilait le ciel et les regards du jour.
Jamais nul papillon, perçant les voûtes sombres,
Le silence effrayant de ce séjour des ombres,
Ne l’avait couronné de ses baisers d’amour.
Compagne du gros orme à la massive écorce,
De ce maître orgueilleux, ingrat, jaloux et dur,
La chaste fleur des bois, pâle, et triste, et sans force,
Sous les pleurs incessants d’un hymen sans divorce,
Courbait sa corolle d’azur.
Mais un jour cependant, dans ce lieu solitaire,
Un rayon de soleil ayant pu se glisser,
De sa lèvre de feu sécha, douce lumière,
Les humides soupirs, les pleurs, rosée amère,
Que cette pauvre fleur s’était prise à verser.
Cette épaisse futaie est le terrible emblème
De la société pour le faible sans droits ;
C’est le hautain mépris, l’implacable anathème
Pour tout ce qui languit à l’ombre de ses lois.
L’orme au jaloux ombrage, aux rameaux despotiques
C’est l’homme, être abusif, l’homme, égoïste époux.
Et le myosotis aux jours mélancoliques
Cette fleur, ô femmes, c’est vous…
Puisse l’Égalité, soleil de délivrance,
Sur vos fronts, frêles fleurs, projeter ses rayons,
Et dans vos cœurs, — calice où perle la souffrance, —
Tarir sous les cils d’or de son regard immense
L’amertume des pleurs et des afflictions !
“L’Orme et le Myosotis”, Joseph Déjacque.