Certain ambitieux, briguant tous les emplois ,
Finit par obtenir une place et la croix.
Cette insigne faveur double son influence :
Il pourra désormais disposer à son tour
De postes lucratifs et de quelque importance
Envers tous ceux qui lui feront leur cour.
« Nul n’est grand, pensait-il, à moins qu’on ne l’encense ! »
On connaissait son faible; aussi mille flatteurs.
Avides comme lui de titres et d’honneurs,
Coururent lui jeter ces compliments d’usage,
Où toujours l’intérêt se glisse avec l’hommage.
Tous s’en trouvèrent bien , car à tous il promit
D’user, à les servir, son zèle et son crédit.
Chacun s’en retourna le cœur plein d’espérance .
Lorsqu’un ancien ami d’enfance,
Qui n’avait pas de quoi s’acheter un habit,
Sans se faire annoncer, parut en sa présence.
Ses haillons, son air triste, ont blessé son orgueil.
« Quel est cet importun, dit-il, et quel accueil
« Veut-il que ma grandeur fasse à son insolence? »
Quoique fort étonné de tant de suffisance,
L’autre allait riposter sans doute avec aigreur,
Lorsque le chien du bourgeois grand-seigneur
Avec lui tout-à-coup renoua connaissance ,
Et le vengea d’un excès de froideur.
« Pauvre Azor, lui dit-il, tu vaux mieux que ton maître,
« Car tu viens de me reconnaître
« Et tu t’es souvenu de mes soins caressants.
« Lui, n’obéissant plus qu’à sa morgue insensée,
« Repousse avec mépris un ami de vingt ans.
« Je pars, mais avec moi j’emporte la pensée
« Qu’il est encore ici des cœurs reconnaissants. »
“L’Oublieux parvenu”