Certain Ours montagnard, Ours à demi léché,
Confiné par le sort dans un bois solitaire,
Nouveau Bellérophon vivait seul et caché :
Il fût devenu fou ; la raison d’ordinaire
N’habite pas longtemps chez les gens séquestrés :
Il est bon de parler, et meilleur de se taire,
Mais tous deux sont mauvais alors qu’ils sont outrés.
Nul animal n’avait affaire
Dans les lieux que l’Ours habitait ;
Si bien que tout Ours qu’il était
Il vint à s’ennuyer de cette triste vie.
Pendant qu’il se livrait à la mélancolie,
Non loin de là certain vieillard
S’ennuyait aussi de sa part.
Il aimait les jardins, était Prêtre de Flore,
Il l’était de Pomone encore :
Ces deux emplois sont beaux : Mais je voudrais parmi
Quelque doux et discret ami.
Les jardins parlent peu ; si ce n’est dans mon livre ;
De façon que, lassé de vivre
Avec des gens muets notre homme un beau matin
Va chercher compagnie, et se met en campagne.
L’Ours porté d’un même dessein
Venait de quitter sa montagne :
Tous deux, par un cas surprenant
Se rencontrent en un tournant.
L’homme eut peur : mais comment esquiver ; et que faire ?
Se tirer en Gascon d’une semblable affaire
Est le mieux : il sut donc dissimuler sa peur.
L’Ours très mauvais complimenteur,
Lui dit : Viens-t’en me voir. L’autre reprit : Seigneur,
Vous voyez mon logis ; si vous me vouliez faire
Tant d’honneur que d’y prendre un champêtre repas,
J’ai des fruits, j’ai du lait : Ce n’est peut-être pas
De Nos seigneurs les Ours le manger ordinaire ;
Mais j’offre ce que j’ai. L’Ours l’accepte ; et d’aller.
Les voilà bons amis avant que d’arriver.
Arrivés, les voilà se trouvant bien ensemble ;
Et bien qu’on soit à ce qu’il semble
Beaucoup mieux seul qu’avec des sots,
Comme l’Ours en un jour ne disait pas deux mots
L’Homme pouvait sans bruit vaquer à son ouvrage.
L’Ours allait à la chasse, apportait du gibier,
Faisait son principal métier
D’être bon émoucheur, écartait du visage
De son ami dormant, ce parasite ailé,
Que nous avons mouche appelé.
Un jour que le vieillard dormait d’un profond somme,
Sur le bout de son nez une allant se placer
Mit l’Ours au désespoir, il eut beau la chasser.
Je t’attraperai bien, dit-il. Et voici comme.
Aussitôt fait que dit ; le fidèle émoucheur
Vous empoigne un pavé, le lance avec roideur,
Casse la tête à l’homme en écrasant la mouche,
Et non moins bon archer que mauvais raisonneur :
Roide mort étendu sur la place il le couche.
Rien n’est si dangereux qu’un ignorant ami ;
Mieux vaudrait un sage ennemi.
Analyses de Chamfort – 1796.
L’Ours et l’Amateur des Jardins
V. 4. Il fût devenu fou: la raison d’ordinaire.
Nul poète, nul auteur ne prêche plus souvent l’amour de la retraite, et ne la fait aimer davantage. Mais la retraite et la solitude absolue sont deux choses bien différentes. La première est le besoin du sage, et la seconde est la manie d’un fou insociable ; c’est ce que La Fontaine exprime si bien dans ces vers charmants :
V. 14. Il aimait les jardins, était prêtre de Flore,
Il l’était de Pomone encore.
Ces deux emplois sont beaux : mais je, voudrais parmi , Quelque doux et discret ami.
Nous verrons ce sentiment , développé avec plus de grâce et d’intérêt encore,. dans la fable suivante et dans celle des deux pigeons.
Analyses des fables de La Fontaine, P. Louis Solvet, 1812
Pilpay, fable 29 – L’Ours et l’Amateur des Jardins
V. 4. Il devenu fou : la raison, d’ordinaire,
N’habite pas long-temps chez les gens séquestrés,
Nul poète, nul auteur ne prêche plus souvent l’amour de la retraite ; et ne la fait aimer davantage ; mais la retraite et la solitude absolue sont des choses bien différentes. La première est le besoin du sage, et la seconde est la manie d’un fou in sociable : c’est ce que La Fontaine exprime si bien dans ces vers charmants :
Il aimoit les jardins, étoît prêtre de Flore ;
Il l’étoit de Pomone encore ;
Ces deux emplois sont beaux, mais je voudrois parmi
Quelque doux et discret ami.
Nous verrons ce sentiment développé avec plus de grâce et d’intérêt encore dans la Fable suivante,et dans celle des deux Pigeons. (Ch.)
V. 6. Il est bon de parler, et meilleur de se taire.
Soepe loqui prodest sed semper posse tacere.
(Camcrarii Fabul., Leporis eruditio, p. 341.)
V. 19. Les jardins parlent peu , si ce n’est dans mon livre.
………les arbres parlent peu,
Dit le bon La Fontaine ; et ce qu’un bois m’inspire… Lire la suite…