Pierre Louis Solvet
Homme de lettres, écrivain et analyses des fables – L’Ours et l’Amateur des Jardins
Analyses L’Ours et l’Amateur des Jardins, P. Louis Solvet – 1812
Pilpay, fable 29 – L’Ours et l’Amateur des Jardins
V. 4. Il devenu fou : la raison, d’ordinaire,
N’habite pas long-temps chez les gens séquestrés,
Nul poète, nul auteur ne prêche plus souvent l’amour de la retraite ; et ne la fait aimer davantage ; mais la retraite et la solitude absolue sont des choses bien différentes. La première est le besoin du sage, et la seconde est la manie d’un fou in sociable : c’est ce que La Fontaine exprime si bien dans ces vers charmants :
Il aimait les jardins, était prêtre de Flore ;
Il l’était de Pomone encore ;
Ces deux emplois sont beaux, mais je voudrais parmi
Quelque doux et discret ami.
Nous verrons ce sentiment développé avec plus de grâce et d’intérêt encore dans la Fable suivante,et dans celle des deux Pigeons. (Ch.)
V. 6. Il est bon de parler, et meilleur de se taire.
Soepe loqui prodest sed semper posse tacere.
(Camcrarii Fabul., Leporis eruditio, p. 341.)
V. 19. Les jardins parlent peu , si ce n’est dans mon livre.
………les arbres parlent peu,
Dit le bon La Fontaine ; et ce qu’un bois m’inspire.
Je veux à mes côtés trouver à qui le dire.
(L’Homme des Champs , ch, 1.)
Ces vers rentrent dans l’idée de ceux déjà cités plus haut, et le cœur les retient aussi facilement (1).
V. 39. Et bien qu’on soit, à ce qu’il semble,
Beaucoup mieux seul qu’avec des sots.
A ce qu’il semble, notez ce point. La Fontaine ne prend pas la chose à l’affirmative : c’est que, parmi nous, quand on est d’humeur à s’en amuser, on convient assez généralement que les sots ne sont pas si mauvaise compagnie; ainsi, du moins, pensaient La Rochefoucault et Montesquieu.
V. 57. Rien n’est si dangereux qu’un ignorant ami.
De ce genre est ce qu’on appelle communément, dans le monde., un obligeant mal-adroit. Ce caractère a été plusieurs fois mis au théâtre ; La Chaussée, Des Forges, Carmontelle, Des Faucherets, s’en sont emparés, et le dernier est peut-être celui qui, jusqu’à présent, a le mieux réussi à le peindre , dans sa jolie pièce du Mariage secret.
(1) On ne peut s’empêcher de regretter, en lisant ces vers, qu’ils soient le seul hommage que M. Delille ait rendu à La Fontaine,
dans un poème ou se rattachaient tant de souvenirs touchants de ce poète aimable. Comment, par exemple,
Ce sage assez semblable an vieillard de Virgile,
Homme égalant les rois, homme approchant les Dieux,
Et comme cet derniers, satisfait et tranquille.
Dont le bonheur consiste aux beautés d’un jardin.
(Livre 12, fable 20.)
Cet octogénaire, autre sage assez semblable au vieillard de Cicéron cru !
Se donnant des soins pour les plaisirs d’autrui,
plantait pour ses arrière-neveux : serebat arbores quœ alteri sœculo prosint. (Tuscul.)
Cet épilogue, enfin, ou La Fontaine se peint lui-même :
………Aux bords d’une onde pure.
Traduisant en langue des Dieux
Tout ce que disent, sous les cieux ,
Tant d’êtres empruntant la voix de la nature.
Tableau charmant, mais seulement ébauché, qui pouvait offrir un contraste si parfait avec celui ou M. Delille représente Rousseau livre, au milieu des champs, à des méditations bien différentes, ne sont-ils point venus se présenter à sa pensée?