Fables de l’Académie des jeux floraux
Qui a obtenu une Primevère réservée ; Par M. Siméon Pecontal, de Montauban.
Loin des yeux, loin du cœur. Dict. Espagn.
Un Ours des plus savants , et dont le talent triple,
Faire des tours, saluer et s’asseoir,
Lui valut autrefois l’insigne honneur d’avoir
Le fils d’un Lion pour disciple,
Languissait, vieux et seul, au fond de son manoir.
De précepteur de roi redevenir ermite,
Voir, h sa place, un mal appris
Lui venir, en un jour, enlever tout le prix
De sa peine et de son mérite;
Puis, se trouver réduit au régime frugal
De se lécher la patte pour régal;
Certes, c’était le cas, l’espoir n’étant qu’un leurre,
De pleurer comme un veau, si tant est qu’un veau pleure.
Un soir que de plus belle il gémissait ainsi
En tirant son repas de sa propre substance,
Et que Messer-Gaster à pareille pitance
Ne trouvait pas son compte et se plaignait aussi;
Un Renard des plus fins passe près de son gîte,
Lequel, à son souper mettant plus de façons.
Grand coureur qu’il était de poules et d’oisons,
Allait leur en conter pour les croquer ensuite.
Voulant savoir pourtant le sujet de ces cris
Renouvelés des grecs par cet autre Héraclite :
Si j’allais, se dit-il, lui faire une visite?…
Dans la nuit tous les chats sont gris.
Et quand ils seraient blancs! me ferait-on un crime
De prouver que je tiens parfois en quelque estime
Le mérite qui meurt de faim? Allons, allons.
Renard, sois bonne créature;
On ne perd pas toujours à se montrer humain :
Tel qui pleure aujourd’hui peut bien rire demain,
Et demain on a part à l’heureuse aventure.
Sur ce, le bon apôtre, habile à s’attendrir,
Vient faire à l’Ours, de l’air le plus piteux du monde,
Une révérence profonde,
Et tire de son cœur un plus profond soupir.
L’Ours qui, depuis le jour de sa déconfiture,
N’avait pas vu si tendre visiteur
(Les animaux, de leur nature,
Sont peu courtisans du malheur ),
Sentit sa peine soulagée
A l’aspect du Renard dont la mine allongée
Semblait se conformer si bien à sa douleur.
Et comme il se lassait de la tenir contrainte,
Ou de ne pouvoir l’exhaler
A d’autres qu’aux échos qui, sans le consoler,
Toujours, et fort crûment, lui renvoyaient sa plainte;
Devant maître Renard, autant que lui béant,
Il relève sa tête, et donnant à sa langue
Un office h remplir plus noble et mieux séant,
Il commence ainsi sa harangue :
» De l’ingratitude des Cours »
Vous avez sous vos yeux la preuve manifeste… »
— Oh! je vous en supplie, épargnez-moi le reste,
Interrompt le Renard ; plaintes et vains discours,
Tout cela sonne creux, surtout au ventre vide,
Et, pour vous parler franc, je n’en suis pas avide.
Vous accusez le Roi ! mais il est notre amour ;
Il l’est, le fut et le doit être;
Vous devez le savoir, vous qui fûtes son maître;
Soyez donc juste a. votre tour.
Après avoir joui d’une faveur si haute,
Si vous l’avez perdue, est-ce bien par sa faute?
Le prince vous voit-il ? Lui faites-vous la cour?
— Moi, lui faire la cour I j’aime à cacher ma vie.
— C’est fort bien ; mais alors, dans votre obscur manoir,
Cachez-la donc sans geindre et sans broyer du noir,
Et, philosophe, ayez de la philosophie :
Sur la reconnaissance insensé qui se lie !
Consultez là-dessus le Cheval et le Bœuf,
Et la Poule aussitôt qu’elle ne pond plus d’œuf,
Et l’histoire sacrée, et l’histoire profane,
Et les auteurs anciens, et les nouveaux, et l’Âne
Qui pourra vous montrer comment cette leçon,
En retour d’un labeur utile autant que rude,
S’imprime sur son dos à grands coups de bâton.
Et vous nous viendriez parler d’ingratitude!….
Mais à quoi servent donc le savoir et l’étude?
Ami, rien ne vieillit plus vile qu’un bienfait;
C’est un malheur, mais c’est un fait.
Cela se passe ainsi, dit-on, parmi les hommes;
Serions-nous plus parfaits, animaux que nous sommes?
En amour, les absents ont tort;
En amitié, c’est môme adage ;
Quant à la Cour, qui s’en exile est mort.
Voilà ce qu’un Renard, l’homme dirait un sage,
M’a souvent répété. Renard observateur,
Qui fit de plus d’un bec tomber plus d’un fromage,
Sans qu’il fût, comme vous, un docte précepteur.
Donc à changer le cœur des bêtes
Vous perdriez l’esprit, tout savant que vous êtes.
Changez plutôt, vous-même; et, s’il se peut, seigneur,
Ne pleurez plus; montrez partout meilleur visage,
Et cachez mieux votre mauvaise humeur;
Vous en retirerez un plus grand avantage :
Pour un rien, à la Cour, les faveurs vont pleuvant
Le plus souvent.
Reparaissez-y donc, et soyez moins sauvage;
Le Lion, vous voyant, sera moins oublieux :
Le cœur des rois est dans leurs yeux.
“L’Ours et le Renard”
Recueil de l’Académie des jeux floraux – 1856