Un ours à l’esprit inventif,
Dans le fond d’une solitude,
Consacrait ses jours à l’étude
De maint travail spéculatif.
Il était très versé dans les mathématiques,
La chimie et surtout dans les arts mécaniques ;
Mais, pauvre comme Job, notre illustre savant
Avait un fort maigre ordinaire ;
Même il ne dinait pas souvent.
Songer au lendemain n’était pas son affaire.
Cependant, mieux que lui, personne n’avait l’art
D’inventer des engins, des pièges,
Lesquels, pour un lopin, à Samuel Renard,
Étaient livrés avec leurs droits et privilèges.
C’était donné, direz-vous; mais, enfin.
Il faut manger, et que ne peut la faim!
Les renards sont peu forts sur la délicatesse ;
Or, le nôtre exploitait à plaisir la détresse
Du pauvre Vaucanson. On comprend qu’à ce jeu
L’un devait gagner gros, mais l’autre gagner peu.
Un jour l’ours réfléchit et dit à son compère :
« Ami, vraiment je désespère
De connaître jamais l’aisance et le bonheur!
« A vous tout réussit, à vous tout est propice.
« Du Ciel j’accuse l’injustice :
« D’où lui vient donc pour moi cette rigueur?
« — Mon cher, dit le renard, d’une plainte importune
« Souvent nous fatiguons les Dieux :
« De nous en prendre à nous ne ferions-nous pas mieux?
« Tandis que dans un coin vous rêvez la fortune,
« Je la cherche, j’agis et je cours au-devant.
« Avec vous, en un mot, sur deux points je diffère :
« Vous êtes érudit et je suis peu savant;
« Vous avez le savoir, moi j’ai le savoir-faire. »
“L’Ours et le Renard”