Deux compagnons pressés d’argent
A leur voisin Fourreur vendirent
La peau d’un Ours encor vivant,
Mais qu’ils tueraient bientôt, du moins à ce qu’ils dirent.
C’était le Roi des Ours au compte de ces gens.
Le Marchand à sa peau devait faire fortune.
Elle garantirait des froids les plus cuisants,
On en pourrait fourrer plutôt deux robes qu’une.
Dindenaut¹ prisait moins ses Moutons qu’eux leur Ours :
Leur, à leur compte, et non à celui de la Bête.
S’offrant de la livrer au plus tard dans deux jours,
Ils conviennent de prix, et se mettent en quête,
Trouvent l’Ours qui s’avance, et vient vers eux au trot.
Voilà mes gens frappés comme d’un coup de foudre.
Le marché ne tint pas ; il fallut le résoudre :
D’intérêts contre l’Ours, on n’en dit pas un mot.
L’un des deux Compagnons grimpe au faîte d’un arbre ;
L’autre, plus froid que n’est un marbre,
Se couche sur le nez, fait le mort, tient son vent,
Ayant quelque part ouï dire
Que l’Ours s’acharne peu souvent
Sur un corps qui ne vit, ne meut, ni ne respire.
Seigneur Ours, comme un sot, donna dans ce panneau.
Il voit ce corps gisant, le croit privé de vie,
Et de peur de supercherie
Le tourne, le retourne, approche son museau,
Flaire aux passages de l’haleine.
C’est, dit-il, un cadavre ; Otons-nous, car il sent.
A ces mots, l’Ours s’en va dans la forêt prochaine.
L’un de nos deux Marchands de son arbre descend,
Court à son compagnon, lui dit que c’est merveille
Qu’il n’ait eu seulement que la peur pour tout mal.
Eh bien, ajouta-t-il, la peau de l’animal ?
Mais que t’a-t-il dit à l’oreille ?
Car il s’approchait de bien près,
Te retournant avec sa serre.
– Il m’a dit qu’il ne faut jamais.
Vendre la peau de l’Ours qu’on ne l’ait mis par terre.
Autre analyse:
L’Ours et les deux Compagnons commentaires et analyses de MNS Guillon
¹Dindenaut, nom d’un marchand de moutons dans Rabelais, Panurge lui ayant acheté un de ses moutons, qu’il jeta à la mer, les autres suivirent; de là le proverbe : « Comme les moutons de Panurge. » Charles Nodier
Commentée par Chamfort – 1796.
V. 4. … Du moins à ce qu’ils dirent.
Cette suspension fait un effet charmant. Jusqu’à ce mot, on croirait que l’ours est mort, ou du moins pris et enchaîné.
V. 15. … IL fallut le résoudre. . . se défaire.
Ce mot de résoudre se prenait autrefois dans le sens que lui donne La Fontaine.
V. 28. . . Otons-nous, car il sent.
Peut-on peindre mieux l’effet de la prévention? Cela me rappelle une farce, dans laquelle Arlequin est représenté, couchant dans là rue. Il se plaint du froid. Scapin fait avec sa bouche le bruit d’un rideau qu’on tire le long de sa tringle. Il demande à Arlequin comment il se trouve à présent. Oh ! dit celui-ci, il n’y a pas de comparaison. .
V. 37. Il m’a dit qu’il ne faut jamais
Vendre la peau de l’ours qu’on ne l’ait mis par terre.
La morale dans la bouche de celui qui vient d’être châtié , fait ici un effet d’autant meilleur que lé trait est saillant et l’épigramme excellente. (L’Ours et les deux Compagnons)
Analyses par MNS Guillon – 1803
(1) Deux Compagnons. Compagnon est souvent synonyme d’a venturier :
Quand Compagnons sont desbauchés,
Ils ne cherchent que compagnie.
(Villon, IIe. Part. Franch. Repues, p. 35.) On lit en tête de la 5e. Nouvelle de la 8e. Journée du Décameron, » Trois bons Compagnons avallèrent (abaissèrent) les brayes (cu lottes) à un Juge de Florence, (p. 159. T. IV. )
Voyez tous les auteurs qui ont écrit sur notre langue ; combien de divers sentimens sur l’étymologie de ce mot ! Les uns le font venir de cum et panis; les autres de pagus; les autres de com bino; d’autres du celtique; et enfin, d’autres de combenno, qui
eodem curru utitur. Mais sans aller chercher si loin : un compagnon est l’associé d’un autre ; il est joint à lui ; il a sa com pagnie. Compagnon vient de compagnie, qui est le mot latin tout…lire la suite