C’était le vingt-cinq août, premier jour de la chasse.
Tous les habitants du canton,
Depuis le sous-préfet jusqu’au simple piéton,
D’un innocent gibier se mettant sur la trace,
Avaient, dès le matin, par un temps des plus beaux.
Déserté magasins, ateliers et bureaux
Pour prendre part à cette fête.
(Fête pour le chasseur, mais non pas pour la bête)
Aussi, le soir venu, dans les champs que de pleurs,
Que de cris déchirants, que d’immenses douleurs !
L’une appelait en vain ses petits sous son aile,
Celui-là cherchait sa femelle.
Pourquoi ces désespoirs, ces grands dieux ! ces holà ?
C’est que l’homme avait passé là !
Une pauvre perdrix au massacre échappée,
Se trouvait néanmoins cruellement frappée :
Aucun de ses enfants, objets de son amour,
N’était de retour,
Tous avaient péri dans ce jour.
Rencontrant un lapin qui faisait sa tournée :
« — Sur cette fatale journée,
Dis-moi, lui cria-t-elle, ami, ce que tu sais ;
J’ai perdu toute ma couvée,
Ici le malheur a passé.
Mais cette caille, ma voisine,
Dont les petits étaient faibles encor,
J’espérais la trouver au pied de la colline ;
A-t-elle, ainsi que moi, vu périr son trésor ? »
« — Non, reprit le lapin, à l’instant je la quitte,
La famille est au grand complet,
Et pour la peur elle en fut quitte. »
« — Ah ! tant mieux, cher lapin, l’assurance m’en plaît
Et me console dans ma peine ;
Mais, pauvre enfant, ton frère, ah ! j’y pensais à peine,
J’espère qu’il est bien portant ? »
« — Hélas, il est mort en broutant ;
Le premier coup de feu sonna sa dernière heure. »
«— Ciel, tant pis, que pour toi la chance soit meilleure. »
C’est triste, mais c’est vrai, je dois le constater,
Par deux fois la perdrix mentait à sa pensée.
Du bonheur de la caille elle eut l’âme blessée,
Le malheur du lapin la fit presque chanter.
Pourquoi, je ne saurais le dire ;
Mais dans les cœurs l’envie exerce tant d’empire,
Qu’on a beau vouloir l’en chasser,
A partir tout à fait on ne peut la forcer.
“L’ouverture de la Chasse”