L’apologue est un don qui vient des Immortels;
Ou, si c’est un présent des hommes,
Quiconque nous l’a fait mérite des autels:
Nous devons, tous tant que nous sommes,
Eriger en divinité
Le sage par qui fut ce bel art inventé.
C’est proprement un charme: il rend l’âme attentive,
Ou plutôt il la tient captive,
Nous attachant à des récits
Qui mènent à son gré les cœurs et les esprits.
O vous qui l’imitez, Olympe, si ma muse
A quelquefois pris place à la table des dieux,
Sur ses dons aujourd’hui, daignez porter les yeux;
Favorisez les jeux où mon esprit s’amuse.
Le temps qui détruit tout, respectant votre appui,
Me laissera franchir les ans dans cet ouvrage:
Tout auteur qui voudra vivre encore après lui
Doit s’acquérir de votre suffrage.
C’est de vous que mes vers attendent tout leur prix:
Il n’est beauté dans nos écrits
Dont vous ne connaissiez jusques aux moindres traces.
Eh! Qui connait que vous¹ les beautés et les grâces?
Paroles et regards, tout est charme dans vous.
Ma muse, en un sujet si doux,
Voudrait s’étendre davantage;
Mais il faut réserver à d’autres cet emploi;
Et d’un plus grand maître² que moi
Votre louange est le partage.
Olympe, c’est assez qu’à mon dernier ouvrage
Votre nom serve un jour de rempart et d’abri.
Protégez désormais le livre favori
Par qui j’ose espérer une seconde vie;
Sous vos seuls auspices ces vers
Seront jugés, malgré l’envie,
Dignes des yeux de l’univers.
Je ne mérite pas une faveur si grande.
La fable en son nom la demande:
Vous savez quel crédit ce mensonge a sur nous.
S’il procure à mes vers le bonheur de vous plaire,
Je croirai lui devoir un temple pour salaire:
Mais je ne veux bâtir des temples que pour vous.
Françoise-Athénais de Rochechouart de Mortemart, marquise de Montespan, née en 1641, morte le 28 mai 1707, à l’âge de soixante-six ans. Sa liaison avec Louis XIV avait commencé en 1668, et dura près de quinze ans, dit-on, Jusqu’en 1683.
Autre analyse:
Analyses de Chamfort – 1796.
V. 1. L’Apologue est un don qui vient des immortels.
Ce que dit La Fontaine est presque d’une vérité exacte, et est au moins d’une vérité poétique. On trouve des Apologues jusques dans les plus anciens livres de la bible. En voici un bien extraordinaire :
Les arbres voulurent un jour se choisir un Roi. Ils s’adressèrent d’abord à l’olivier et lui dirent : règne L’olivier répondit : je ne quitterai pas le soin de mon huile pour régner sur vous. Le figuier dit qu’il aimait mieux ses figues que l’embarras du pouvoir suprême. La vigne donna la préférence à ses raisins. Enfin les arbres s’adressèrent au buisson ; le buisson répondit : Je vous offre mon ombre.
On sent tout ce qu’il y a de hardi dans cette idée ; et si on trouvait une telle fable dans les écrits de ceux qu’on nomme philosophes ,on se récrierait contre cette audace. Heureusement le Saint-Esprit n’est pas exposé aux persécutions , et ne les craint pas plus qu’il ne les inspire ou ne les approuve.
V. 23. Paroles et regards , tout est charme dans vous.
Cet éloge est.trop direct, et le goût délicat de madame de Montespan eût sans doute été plus flatté d’une louange plus fine. Tout ce que lui dit La Fontaine est assez commun ; mais il y a deux vers bien singuliers :
V. 27. Et d’un plus grand maître,que moi Votre louange est le partage
Ce grand maître était, comme on le sait, Louis XIV. Peut-être un autre que La Fontaine n’eut pas osé s’exprimer aussi simplement ; mais la bonhommie a bien des droits. Madame de Montespan.
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
(1) Longtemps favorite du Roi Louis XIV, ce fut elle qui donna le projet d’une Histoire en médailles des principaux événements du règne de cet illustre Monarque. Elle confia le soin de cette entreprise à quelques Gens-de-Lettres qui se rassemblaient chez Racine. Ce fut là le fondement de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. On conviendra, disait a ce sujet Mad. la Comtesse de Caylus, que ce projet, quoique conçu par la flatterie, n’est pas celui d’une femme commune, ni d’une maîtresse; ordinaire. (Mémoir. sur la Vie de J. Racine, p. 147. ) Elle mourut surintendante de la Maison de la Reine, le 28 mai 1707.
(2) L’apologue est un don, etc. Le poète répète ici en beaux vers ce qu’il a dit en prose harmonieuse dans sa préface en tête de l’ouvrage. « C’est quelque chose de si divin, etc.» ( Voy. au premier volume de cet ouvrage. …lire la suite