Christian Furchtegott Gellert naquit à Haynichen, près de Friberg, en Saxe, le 4 juillet 1715. Ce fut lui qui fit renaître en Allemagne le goût de la bonne et saine littérature, et il travailla puissamment à la faire sortir de l’espèce de barbarie où elle était encore à cette époque, en associant ses efforts à ceux des savants avec lesquels il s’était étroitement lié, tels que Gœrtner et Rabener. Il s’était d’abord destiné à la prédication; mais la première fois qu’il monta en chaire, sa timidité naturelle le fit rester court, et il ne put continuer. Cette mésaventure le décida à quitter la carrière qu’il avait cru devoir embrasser, et il se consacra au professorat. Gellert est auteur de divers ouvrages; il a composé un roman, plusieurs comédies, mais c’est surtout à son recueil de fables et de contes qu’il doit sa réputation. La lecture en devint populaire, même dans les campagnes, et l’on apprenait par cœur, dans les écoles, les fables de Gellert, comme en France les fables de Lafontaine. Gellert eut fréquemment des preuves bien douces pour lui de cet étonnant succès. Voici ce qu’on lit dans sa biographie :
Un paysan vint à Leipzig, conduisant une voiture chargée de bois, et qu’il fit arrêter devant la maison du poète. — « N’est-ce pas ici que demeure M. Gellert? demande-t-il. — Oui, montez. » Il arrive devant Gellert : « N’êtes-vous pas, monsieur, le « M. Gellert qui a composé des fables? — C’est moi-« même. — Eh bien, voici une voiture de bois que « je vous amène pour vous remercier du plaisir « qu’elles nous ont fait, à moi, à ma femme et à mes « enfants. » Une autre fois, Gellert était chez son relieur; entre un villageois qui donne à celui-ci un livre en feuilles, en lui disant : « Tenez, reliez-moi cela bien ferme. — Où avez-vous pris ce livre? lui demande le relieur. — Je l’ai acheté à la ville. Notre bailli et notre maître d’école l’ont trouvé si drôle, qu’ils ont manqué en étouffer de rire, Jai un garçon qui commence à lire couramment, « il me lira ça, le soir, pendant que je fumerai ma pipe, et je n’irai presque plus au cabaret.» Lors de la prise de Leipzig par les Prussiens en 1758, un lieutenant de hussards entra chez Gellert, et, pour lui témoigner sa reconnaissance du plaisir qu’il avait eu à lire ses ouvrages, il voulut lui faire accepter une paire de pistolets qu’il avait pris à un cosaque, et un fouet qui, disait-il, avait servi à donner le knout. On raconte encore qu’au milieu des désastres de la guerre, des régiments presque entiers venaient assister aux leçons du bon et paisible professeur ; que les soldats le saluaient respectueusement, et qu’un sergent, retournant dans son pays, après avoir achevé son temps de service, s’écarta de son chemin, pour voir ce brave M. Gellert, dont les ouvrages l’avaient empêché de devenir un mauvais sujet.
Gellert était d’une santé fort délicate, et sujet à de longs évanouissements et à des douleurs aiguës que rien ne pouvait calmer. Il vit approcher la mort avec tristesse, mais avec résignation : Je ne croyais pas qu’il fût si difficile de mourir, disait-il à ses médecins en leur demandant combien de temps il avait encore à souffrir. —Peut-être encore une heure, lui répondirent-ils.— Dieu soit loué! reprit Gellert, encore une heure ! et il mourut en effet dans la nuit: c’était celle du 13 au 14 décembre 1769; il était alors dans sa 55e année. Sa mort fut pleurée de toute l’Allemagne; tous ceux qui savaient écrire firent des vers ou de la prose en son honneur, et l’on multiplia son portrait de toutes les manières; un monument fut élevé à sa mémoire dans l’église du cimetière de Leipzig, et son libraire lui en érigea un autre dans son jardin.
Voici le jugement que le savant M. Guizot a porté sur le caractère et sur le talent de Gellert : « Son caractère contribua presqu’autant que ses ouvrages à répandre en Allemagne le goût des lettres. Il ac-cueillait, avec une extrême bonté, tous ceux qui voulaient le voir, et prêtait libéralement aux jeunes gens les secours de ses lumières, de sa protection, souvent même de sa bourse. Une correspondance très étendue lui donnait les moyens de servir ceux qui avaient besoin de ses bons offices. Le recueil de ses lettres est un monument authentique de sa bonté : on y reconnaît une âme bonne et tendre, une rare sincérité de conscience, et cet amour de perfectionnement qui distingue la vraie vertu. Le caractère de Gellert était sans vigueur comme son esprit; ses souffrances physiques rendaient quelquefois son humeur inégale : il n’était pas inaccessible aux petits plaisirs de la vanité ; mais la franchise avec laquelle il avouait ses faiblesses, et le désir qu’il avait de les surmonter, ne permettent pas de les considérer comme des torts; on les lui pardonne d’autant plus aisément, qu’il se les pardonnait moins lui-même….. Comme fabuliste, Gellert a un talent original et vrai; sa narration manque de vivacité, mais elle est naturelle; son style est plus élégant que poétique; ses réflexions sont souvent ingénieuses, et exprimées avec grâce, mais elles interrompent quelquefois le fil du récit. Ses meilleures fables sont celles dont le sujet est de son invention, et c’est le plus grand nombre; mérite trop rare parmi les fabulistes. Celles qu’il a imitées de Lafontaine sont très inférieures à l’original, et Gellert n’en disconvenait pas. La gaîté ne lui est pas étrangère, mais la sienne est plus naïve que piquante; et quand il essaie de donner à la fable le ton de la satire, il manque de concision et de sel. »
(Notice sur Christian Fürchtegott Gellert)
Pierre Bergeron 1787 – 18??
- Photo avec la citation – « Christian Fürchtegott Gellert » par Anton Graff — http://www.bildindex.de/. Sous licence Domaine public via Wikimedia Commons.