L’apologue ne commença à être cultivé comme un genre particulier de littérature que dans le VIe. siècle. Encore n’est-ce que par conjecture qu’on reporte jusqu’à cette époque les premiers essais des poètes fabulistes. Ésope, que les Grecs regardaient comme l’auteur de tous ces apologues qui couraient dans le monde, vivait, il est vrai, dans la première moitié du VIe siècle. Mais Ésope n’était ni un Grec ni un poète; et il est douteux qu’il ait jamais rien écrit en quelque langue que ce soit. Les inventions de ce conteur moral, ou, si l’on veut, les emprunts qu’il avait faits aux trésors des littératures orientales, n’arrivèrent sans doute que lentement, apologue par apologue, aux oreilles des Grecs; mais, quand cette matière poétique eut grossi, et que toutes les conversations s’égayaient de mots heureux attribués au vieil esclave, il ne dut pas manquer de poètes pour s’exercer sur des sujets si bien préparés, et pour dessiner les premiers traits de ce qui devint un jour l’ample comédie à cent actes divers. Mais les noms mêmes de ces fabulistes ne nous sont point parvenus ; et les poètes du VIe. siècle et même du Ve. siècle dont on cite les apologues, n’étaient fabulistes, comme Hésiode et Archiloque, qu’en passant et par occasion. Quant à l’homme fameux dont tous les tant de vivre dans la famille de son ancien maître, comme ami, comme conseiller, ou à quelque autre titre honorable. Ce qui prouve qu’il ne resta pas toujours esclave, c’est qu’on le voit se porter pour défenseur en justice d’un homme accusé de délits politiques, et faire ainsi acte de citoyen.. Ce que l’on conte de ses pérégrinations est assez vraisemblable, et n’est point en contradiction avec les témoignages qui concernent son long séjour à Samos. Il habitait d’ordinaire dans la maison d’Iadmon; mais une humeur aventureuse, le désir de voir et de s’instruire, le soin peut-être des affaires de son protecteur, suffisent pour expliquer ses courses en Asie, en Egypte et en Grèce. Il est probable aussi que, dans sa jeunesse, et avant de venir aux mains d’Iadmon, il avait été esclave dans quelque contrée de l’Orient, et y avait puisé ce goût des sentences et des récits allégoriques qu’il répandit plus tard à Samos et dans la Grèce continentale. On admet généralement qu’il périt à Delphes. Les Delphiens, irrités de ses remontrances et des sarcasmes qu’il leur avait décochés sous le couvert de l’apologue, le mirent à mort, comme coupable d’un vol qu’il n’avait pas commis.
(Extrait de l’Histoire de la littérature grecque, par M. Alexis Pierron.)
* Fables choisies d’Esope – 1867
- Sommer, Jean-Edouard-Albert – 1822 – 1866 (traducteur de nombreux auteurs Grècs et Latins)