Paul Bourget et Émile Zola
le renard et le bouc
Paul Bourget à l’Académie. Que d’encre a coulé et coulera encore sur cet événement, car c’est un événement en effet que l’admission d’un écrivain à l’Académie française, où les politiciens défraîchis, les ingénieurs, les perceurs d’isthme et les derniers débris de l’orléanisme l’ont aujourd’hui majorité. Profitons de l’occasion pour déguster ce portrait que M. R. Doumic traçait naguère de Bourget, portrait qui, dans sa concision, pourrait bien être le plus juste de ceux innombrables que l’on nous a fait lire en ces derniers jours :
« La réputation d’un écrivain s’établit généralement au rebours de ses mérites solides. On lui sait gré de ses qualités les plus superficielles et de ses plus aimables défauts : c’est par là qu’il séduit la mode. Une affectation de mise en scène distinguée, quelques mièvreries de sentiment et une réelle délicatesse de forme ont valu à M. Paul Bourget un succès de romancier mondain. Il a l’admiration un peu étonnée des élégances de la vie, ce qui est le contraire même de l’élégance. Nulle légèreté de main : il n’a jamais pu se débarrasser de certaines habitudes d’école et d’un tour d’esprit de professeur. Il a des insistances fatigantes ; il n’aborde pas un sujet que ce ne lui soit un besoin de tout dire et d’épuiser la question. Il n’a pas cet art charmant qui se joue à la surface. Il manque de frivolité ; Et il manque d’esprit. On ne songerait pas à en faire la remarque, si parfois il ne se plaisait à égayer ses récits de traits agréables ; dans ce cas, les plaisanteries, les à peu près, les confusions de mots des illettrés et les cuirs lui semblent du meilleur goût II lui arrive de s’essayer à prendre des airs dégagés ; c’est alors qu’on s’aperçoit qu’elle est au vrai sa nature d’esprit. C’est une nature de travailleur appliqué, consciencieux et un peu lourd. Il a la gravité du moraliste, s’il n’en a pas l’autorité. Son mérite est d’avoir, au même titre que les philosophes, et par des procédés analogues aux leurs ajouté un chapitre à la science de l’âme. » Quand à l’attitude de Bourget à l’égard de Zola, en cette histoire de candidature, Chartes Legrand, l’auteur du La Fontaine de poche, nous paraît en avoir si bien résumé les faits essentiels dans cette fable, que nous nous faisons un devoir de la transcrire intégralement.
Le renard et le bouc
Naguère Paul Bourget allait de compagnie
Avec l’ami Zola, romancier important :
L’un du naturalisme était représentant,
L’autre était passé maître en la psychologie.
Là soif des honneurs fit que vers le pont des Arts
Ils lorgnèrent l’Académie.
Après avoir d’abord observé les remparts,
Bourget dit à Zola : Que ferons-nous confrère ?
Il faut que l’un de nous au plus tôt entre ici.
Après vous… Après vous… Après vous, mon ami.
Or donc, répond Bourget, je sais ce qu’il faut faire.
Prends tes derniers romans et les premiers aussi,
Mets-les contre le mur qui porte la coupole :
Je monterai dessus. Le long du monument
Je grimperai premièrement ;
Puis jusqu’à Doucet m’élevant,
A l’aide de cette bricole
Dans l’endroit je pénétrerai,
Après quoi je t’y tirerai.
Par les Rougon ! dit l’autre, il est bon et je loue
Tous les gens sensés comme toi.
Je n’aurais jamais, quant à moi.
Trouvé ce moyen, je l’avoue.
Bourget passe immortel, laisse son compagnon,
Puis vous lui fait un beau sermon
Pour l’exhorter à la patience :
» Si le ciel t’eût, dit-il, donné par excellence
Autant de jugement que de gloire aux Rougon,
Tu n’aurais pas à la légère
Fait cette courte échelle. Or, adieu, maintenant.
Attends de ton côté qu’un fauteuil soit vacant,
Car pour moi j’ai certaine affaire
Qui ne me permet pas de te tendre la main. »
En toute chose il faut considérer la fin.
Chartes Legrand
Comment tout cela finira-il ? La patience du bouc sera-t-elle éternelle ? Ou bien, reprenant enfin l’usage de ses cornes trop longtemps enveloppées de ouate, ira-t-il tête baissée casser les vitres de l’Institut ? Cela serait plus amusant pour la galerie, que cette attente obstinée et résignée à la porte. Nous attendons avec impatience le réveil du bouc.
Chanteclair
Références
– La Semaine littéraire : revue hebdomadaire – [s.n.] (Genève) 1894-06-02.
– Par André Devambez, mort en 1944, soit plus de 70 ans — Domaine public, https://commons.wikimedia.org
– Par Émile Zola — Domaine public, https://commons.wikimedia.org/
– Par Tucker Collection — New York Public Library Archives, Domaine public, https://commons.wikimedia.org