Dès que l’ardent Pluton eut ravi Proserpine,
Cérès en jetta les hauts cris.
Pour s’en plaindre, elle vôle aux célestes lambris :
Jupin, souffriras-tu que Pluton m’assassine ?
Je perds ma fille ; hélas ! Si ce bien m’est ôté,
Ôte-moi donc aussi mon immortalité.
Votre affaire est embarassante,
Répondit Jupin à Cérès ;
Ce cadet-là n’a pas l’humeur accomodante ;
Il tient bien ce qu’il tient : mais calmez vos regrets :
Afin d’avoir la paix dans ma famille,
J’imagine un traité que le sort scellera.
Que six mois de l’année il garde votre fille ;
Et les six autres mois pour vous elle vivra.
Voilà mon arrêt ; toi, Mercure,
Va le porter au dieu des morts.
L’huissier céleste part, arrive aux sombres bords ;
Instruit Pluton. L’arrêt excite son murmure.
Quoi, mon frère, dit-il, attente à mes desirs !
Prétend-il donc me tailler mes plaisirs ?
Nous lui laissons ses biens ; qu’il nous laisse les nôtres.
Je n’aurois que six mois cette chère beauté !
Eh ! Comment vivre les six autres ?
Est-ce pour l’adorer trop de l’éternité ?
Vous êtes à plaindre sans doute ;
Lui dit Mercure, en reprenant sa route :
Mais c’est l’ordre du sort : tel qu’il est, le voilà ;
Il faut bien en passer par là.
Proserpine est donc épousée.
Grande fête aux enfers ; tout supplice y cessa :
On dit qu’ainsi que l’élisée,
Tout le Tartare à la nôce dansa.
Au bout de quinze jours Pluton dit à sa femme :
On va vous ravir à ma flâme ;
Enfin le terme approche où vous m’allez quitter.
Ici nous ne pouvons compter
Ni les jours ni les mois : nos astres immobiles
Ne sçauroient mesurer le temps :
Mais je sens bien, depuis que mes vœux sont tranquilles,
Qu’il s’est passé bien des instans.
On va nous séparer : ô regrets inutiles !
(le terme est loin pourtant, il falloit deux saisons.)
Autre quinzaine passe, et Pluton s’en étonne.
Quoi, dit-il en bâillant, six mois sont donc bien longs !
Autre mois passe encor ; alors le dieu soupçonne
Que Jupiter le trompe, et qu’enfreignant ses loix,
Il ne veut pas tenir la clause des six mois.
Il s’en plaint ; mais sa plainte eut beau se faire entendre :
Avec sa Proserpine il lui fallut attendre
Qu’il plût au terme d’arriver.
Quand Mercure vint la reprendre,
Notre époux sentit à la rendre
Plus de plaisir qu’à l’enlever.
Dans un bien souhaité quels charmes on suppose !
Vient-on à jouïr de ce bien ?
Tous les jours il décroît, perd toûjours quelque chose ;
Il devient mal en moins de rien.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, Pluton et Proserpine.