Un jour, monsieur Polichinelle,
Dans son bel habit de velours,
Se promenait au Luxembourg,
Suivi de toute la séquelle
De ses illustres rejetons,
Qui s’avançaient en rang d’oignon !..
C’était une belle famille !
Douze garçons, pas une fille.
Le douzième étant un marmot,
A peine sorti du maillot,
Le premier un robuste drille,
Ils marchaient en flûte de Pan,
Tous les nez à l’alignement :
De temps en temps Polichinelle,
Tirant un mouchoir à carreaux,
Mouchait de haut en bas toute la ribambelle;
Puis il se remettait à marcher. Les Moineaux,
Effarouchés, s’envolaient d’arbre en arbre;
Les passants sur leurs pas poussaient des cris joyeux,
Riant, Dieu sait ! Et les reines de marbre
A peine à cet aspect gardaient leur sérieux…
Polichinelle avait appris l’histoire.
On l’avait barbouillé de latin et de grec !
Sa bosse était un répertoire.
Bourré de faits et de grimoire,
Qui ne restait jamais à sec.
Cela lui permettait d’instruire sa famille
En la promenant. Chaque fois
Qu’il voyait se dresser un dieu sous la charmille,
Ou quelques héros d’autrefois,
Aussitôt de sa belle voix,
Mélodieuse, autant que populaire,
Il lisait la rubrique inscrite au piédestal,
En l’allongeant, tant bien que mal,
De quelque aimable commentaire.
Il saluait surtout les soldats glorieux
Qui défendirent la Patrie !
Ayant eu parmi ses aïeux
Un officier du roi, mort à Fontarabie !
Jean polichinelle-Mayeux
Vidame de la Bosse-en-Brie !
Qui défendirent la Patrie !
Ayant eu parmi ses aïeux
Un officier du roi, mort à Fontarabie !
Jean Polichinelle-Mayeux
Vidame de la Bosse-en-Brie !
Devant les images des Dieux
On parlait d’esthétique et de mythologie.
Le hasard, quelquefois malicieux, dit-on,
Conduisit, ce jour-là, les enfants et le père
Devant un superbe Apollon
Vulgo nommé du Belvédère.
—Ça, mes enfants, c’est un morceau
Fameux ! une oeuvre illustre, autant qu’habile !
Il faut dire que c’est très beau,
Ou passer pour un imbécile —
— Eh bien ! moi, répliqua l’aîné
D’un petit ton déterminé,
Je ne suis pas l’avis de monsieur Tout le monde.
Cette tête doit être blonde,
Et je l’aimerais sûrement
Si j’y voyais briller cet ornement
Qui n’a jamais gâté joli visage,
Comme dit un antique adage.
Mais quoi ! le nez y fait défaut,
En entier, ou de peu s’en faut.
Les bras sont beaux, mais la poitrine
N’a pas le moindre modelé ;
Voyons derrière : Ah ! quelle échine !
C’est droit comme un manche à balai.
Au diable la sculpture antique,
Et sa perfection classique !
Jupiter, Vénus, Apollo,
Tout cela, c’est du rococo !
Ce dieu banal et plat, sans reliefs, ne peut plaire…
A moi du moins qui ne suis pas un sot,
Et si vous contestez, je répondrai d’un mot :
Est-ce ainsi qu’est fait notre père ?
Critique aimable, ingénieux,
Pour qui les lois de l’Esthétique
N’ont plus rien de mystérieux,
De ce récit très authentique,
Et tout naïvement conté,
Ne pensez pas que je m’applique
A tirer la moralité.
Polichinelle fils, c’est nous, c’est tout le monde,
Ou de bien peu s’en faut, en la machine ronde ;
Oui, nous qui nous prenons toujours au sérieux,
Dupes de l’habitude, esclaves de nos yeux !
Du réel et du vrai confondant les images,
Les masques avec les visages,
La vie avec le carnaval !
Apollon, lui ! c’est l’Idéal!
“Polichinelle et Apollon”