Au beau milieu d’un pré, certain aliboron
Faisait, en connaisseur, l’éloge du chardon.
Vingt animaux divers formaient son auditoire.
Son discours fut sublime, et, si j’en crois l’histoire,
Plus d’un ventru, parlant en faveur du budget,
N’avait jamais produit un aussi bel effet :
« Messieurs, s’écriait-il, malheur à qui profane
« Un mets si précieux, sans en avoir goûté !
« C’est ainsi que. toujours, maint ignorant condamne
« Ce dont il ne sent pas toute l’utilité.
« Le chardon est exquis ; mais, ajoutait notre âne,
« Laissons, si vous voulez, sa saveur de côté,
« Et parlons de sa fleur. Comme deux belles choses,
« Qu’il semble vouloir protéger,
« Dieu garnit de piquants les chardons et les roses ;
« Donc dans la même classe il voulut les ranger,
« Donc enfin le chardon n’a rien de comparable.
Ce dernier mot blessa certain coq entêté,
Qui trouva, lui, de son côté,
Que l’orge était bien préférable.
En maître expert il en parla,
Si bien que l’orge aussi fut le nec plus ultra !
« Ce point me paraît contestable, »
Dit aussitôt un vieux lapin :
« L’orge a son prix , sans doute, et peut être agréable,
« Mais rien n’est bon comme le thym ;
« Demandez plutôt à l’abeille. »
Enfin bref, tour-à-tour, les autres animaux
Citèrent, comme une merveille,
Le mets qu’ils préféraient. De propos en propos,
On s’aigrit jusqu’au point d’en venir aux gros mots:
L’âne n’était qu’un sot, qui ne savait que braire ;
Le coq, un arrogant, qui, pour parler si mal,
En beaucoup mieux fait de se taire ;
Ainsi, de maint autre animal.
Un bœuf leur dit alors : « Cessez votre dispute :
« Sur les goûts , mes amis, c’est en vain qu’on discute,
« Et l’on vit d’autant mieux que l’on en parle moins.
« J’ ai fait de la matière une étude profonde ;
« Retenez donc de moi que toujours, en ce monde,
« Les choses n’ont de prix que suivant nos besoins. »
“Querelle d’Animaux apaisée par un Bœuf”