La Fontaine, ce grand, ce savant moraliste
Qui se servit des animaux
Pour montrer nos travers et pour guérir nos maux,
N’a pas besoin d’apologiste ;
Il n’eut et n’aura pas non plus d’antagoniste.
Sur sa cigale et sa fourmi
Je trouve néanmoins à reprendre à demi :
D’avance, j’en suis sûr, sa bonté me pardonne ;
D’ailleurs, le robuste éléphant
Peut-il être blessé par la main d’un enfant ?
Or, voici comment je raisonne :
La cigale, a-t-il dit, en chantant tout l’été,
Fit preuve d’imprévoyance
Pour n’avoir point mis de côté
Lorsqu’elle était dans l’abondance.
Le fait est évident, on peut bien l’en blâmer.
Mais je blâme encor plus l’abominable vice
Qui, dans tous les pays, a pour nom :
Avarice ! Et que dame fourmi n’a pas su réprimer ;
C’était déjà fort mal que de fermer sa porte
A la cigale à demi morte ;
Mais c’était encor plus affreux
D’ajouter à sa ladrerie
Un conseil rempli d’ironie :
Dansez donc, en effet, avec l’estomac creux !
Sous la puissante voix du premier fabuliste
Cette réponse qui m’attriste
Fait sourire chacun, car l’homme est égoïste
C’est ici, selon moi, qu’est l’immoralité,
Et pour cette fable,
Sans doute admirable,
Je suis fâché de l’immortalité.
Sauvez, sauvez d’abord du danger, de la peine,
Celui qui, suppliant, à vos genoux se traîne ;
Lorsqu’un pauvre affamé vous demande du pain,
Commencez, mes amis, par apaiser sa faim ;
Puis, comme la fourmi sermonnant la cigale,
Si vous y tenez tant, faites de la morale.
Quand vous trouvez des malheureux,
Ce qui n’est pas, hélas ! bien difficile chose,
Partagez d’abord avec eux,
Sans de leur pauvreté remonter à la cause ;
Ne gardez pas pour votre lendemain
Lorsqu’un frère vous tend la main.
Donnez, ne craignez pas, bonne est votre créance,
Vous prêtez à la Providence.
“Réflexion sur la Cigale et la Fourmi”