Henri CACHAU
Peintre, poète et Fabuliste contemporain – Selfie de noël
– Non, Jacques, je ne laisserai pas Stephen seul ce soir.
– Mais chérie, il va sur ses treize ans, ne me paraît pas à l’article de la mort…
– Oui, mais avec quarante de fièvre on ne sait jamais…
– Mais enfin, le temps d’une messe de minuit, car je subodore que ça ne lui déplaît pas de l’éviter.
– Je te le répète, on ne sait jamais avec une telle fièvre.
L’adolescent est rouge, agité, se plaint de maux de tête… Le médecin dépassé par une vague de grippe, ou ne souhaitant pas rater son réveillon a déclaré passer le lendemain dans l’après-midi…
– Et tu comptes sur qui pour garder notre moribond, à ton comique de frère ?
– En tant que célibataire c’est le seul disponible.
– C’est vrai, longtemps il a joué l’inamovible père noël, et à chaque fois bonjour les dégâts.
– Tu es méchant, tu étais le premier à le féliciter pour ses prestations.
– Non… réaliste.
– Mais cette fois, avec un Stephen grippé, je pense que nous sommes à l’abri de toute mésaventure.
– Et il arrive quand notre garde-malade…
– Sur les vingt et une heure…
Pouvaient-ils faire confiance à cet oncle, le frère de madame, doux poète et athée, auquel ils avaient confié la garde d’un Stephen grippé, incapable d’apprécier ce proche Noël : la messe de minuit, le réveillon, la remise des cadeaux, quoique de ce côté-là, ils savaient éloignée sa crédulité –pas plus que ses camarades de son âge n’y croyant et s’en glorifiant, après avoir atermoyé avant d’abdiquer pour leur plus grand soulagement – concernant ces pères noël descendus par la cheminée du salon… Malgré une inquiétude, moins se rapportant à l’état fiévreux de l’adolescent, qu’à l’envisageable frasque de l’oncle, coutumier de facéties pas toujours du meilleur goût –n’était-il pas apparu lors d’un précédent noël, Stephen encore nourrisson, accompagné d’un âne et de l’inévitable bœuf, des animaux qui interdits de pénétrer, détruisirent le modeste gazon entourant leur habitation –, cette grippe les garantissait de toute bêtise. Néanmoins, c’est à demi rassurés, qu’accompagné de leur fille cadette, Coralie, ils partirent pour la messe de minuit… Plus rassurant encore, vaincu par la fièvre Stephen s’était endormi, et l’oncle, verre et bouteille de whisky à portée de main, regardait la télévision…
A l’extérieur se précisait un Noël de carte-postale favorable à l’ensemble des rituels, religieux et consumériste, avec une émotion au rendez-vous, transcendée, soit par les cantiques et les grandes orgues, soit par la distribution des cadeaux suivant les réveillons, n’empêchant pas l’inquiétude de s’immiscer dans l’esprit de la mère de Stephen, nullement rassurée par l’apparente tranquillité de son frère Félix, un prénom heureux pour celui surnommé le calamiteux de la famille, lors de leur départ pour l’église, songeant à cet avertissement : ‘un verre ça va, deux verres… bonjour les dégâts ‘!, dans ce même temps où son mari, Jacques, songeait à sa bouteille d’un cru vieilli d’Écosse, à sa raide descente !…
Durant la cérémonie, malgré l’ambiance recueillie et chaleureuse, l’évangile de St Luc annonçant : « vous trouverez un enfant enveloppé de langes et couché dans une crèche ! », et ce : « gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ! », malgré sa sérénité apparente, madame ne put éviter de songer à quelque farce tournant à la catastrophe, survenant suite à une idée géniale de son aîné essayant d’amuser le malade. Aussi, dès la fin de la cérémonie, l’organiste jouant les ultimes accords des ‘anges dans nos campagnes’, prétextant le froid, fit en sorte d’éviter les groupes se souhaitant un joyeux Noël, auprès desquels son époux aurait aimé s’attarder, mais l’impatience de Coralie voulant précipiter sa découverte des cadeaux s’ajoutant à celle de sa mère, ils regagnèrent leur automobile : dans un quart d’heure, vu l’état glissant de la chaussée, ils seraient rentrés, et selon leurs constatations tranquillisés ou consternés… A quelques encablures de leur domicile ils furent dépassés par un camion de pompiers circulant à grande vitesse malgré la chaussée verglacée, ce qui n’eut pas l’heur, madame envisageant un pire dont elle en visualisait les possibilités, de perturber le chauffeur, imaginant lui, pour détendre une atmosphère glaciale, un père noël coincé dans une cheminée : une éventualité qui, si elle fit rire Coralie, fit réagir son épouse, dénonçant l’incongruité de cette supposition, alors que sirène hurlante ces pompiers se déplaçaient pour une cause évidemment moins risible : incendie ou accident…
Arrivés à proximité de leur domicile ils repèrent les signaux lumineux indiquant le stationnement du camion, aussitôt, à différents degrés d’impressions, tous trois imaginèrent l’accident ou l’incident ayant touché l’une des maisons de leur voisinage ; madame, dont l’inquiétude redouble, incapable d’envisager d’autre éventualité que ce pire dont elle connaît le facteur humain, se gardant bien d’interpeller son époux en lui disant : « avec mon frère on ne sait jamais quelle connerie… !, » une énième fois la rassurant en avançant la grippe de Stephen… Cependant, ce camion stationne devant leur domicile duquel ne s’échappe ni flammes ni fumée, un constat leur permettant d’éliminer l’une des causes probable de l’intervention des hommes du feu, bizarrement regroupés côté jardin, qu’ils atteignent dans le même instant ou un lieutenant les interpelle :
– Vous êtes les propriétaires ?
– Oui de quoi s’agit-il ?
– D’un père noël tombé de la toiture.
– Comment un père noël… tombé de la toi…
– Un homme d’une cinquantaine d’années, apparemment l’oncle du garçon avec lequel ils y étaient montés.
– Tu avais raison –se tournant vers son époux – on ne pouvait pas lui faire confiance.
– Une histoire de concours de ‘selfie’, mais l’homme s’en sort bien, l’épaisse couche de neige l’a protégé… des fractures aux jambes, il va être dirigé sur l’hôpital.
– Peux-t-on le voir, lui dire deux mots.
– Pour l’engueuler ou rire… te connaissant…
– Alors toi Jacques…
– Sachez lieutenant, que dans la famille on l’appelle le calamiteux !
– Allez-y avant que l’ambulance arrive, il est allongé dans votre salon en compagnie du garçon et de mes hommes.
L’oncle est allongé sur un canapé, pâle, il sourit en les voyant arriver, puis avant l’intervention de sa sœur, envisagée violente, lui coupe la parole en lui déclarant :
– Un concours de selfie, je voulais que Stephen le gagne… ouille… aïe…aïe… il grimace de douleurs, d’ailleurs nous le gagnerons… Pris en compagnie d’un père noël… aïe !… ouille !… Combien de concurrents se seront risqués à prendre leurs clichés depuis une toiture, enneigée de surcroît… un décor naturel… aïe, ouille !…
– Tu es inconscient, tu aurais pu te tuer… Non mais, risquer votre peau pour un concours idiot… Je te l’avais dit – se tournant vers son époux – on ne peut pas lui faire confiance… Quant à toi, Stephen, en pyjama et par ce froid… insensé !
– Mais, maman, c’est moi qui lui ai proposé de jouer ce père noël, je me souvenais de ces anciennes interventions… Il a de suite accepté… car je vous l’avoue ma grippe était jouée, même le toubib si serait trompé, ou alors aurait confirmé ma combine…
– Toi aussi mon fils, aussi magouilleur que mon frère… un beau duo en vérité. Crois-tu que les pompiers n’ont pas d’autres interventions, réelles celles-là, à assurer durant cette nuit… incendies, accidents !
– De longue date préparé notre coup maman, par l’intermédiaire de Face book, un concours planétaire, avec des millions d’internautes se prêtant au jeu… Nos ‘selfies’ défilent à l’écran, un succès, vous jugerez sur pièce…
Les ambulanciers sont arrivés, ils se chargent de l’oncle qui lors de son départ déclare à la cantonade :
– Nous le gagnerons Stephen, nous le gagnerons ce concours !
– Mais à la fin on gagne quoi avec votre satané concours ?
– Un voyage en Finlande, le pays des rennes et des… père… aïe !, ouille !, pour quatre personnes… ça te va ma chère sœur ?…
Henri Cachau
Site : www.henri-cachau.fr