Un grand magicien dans l’Inde avait deux fils,
Dont le plus jeune était aveugle de naissance,
Destin fatal auquel l’homme est parfois soumis !
Et l’aîné, vain, léger et plein de suffisance,
Par une dure inconvenance,
De son frère raillait souvent la cécité.
Un jour que, par la ville et la campagne,
Il allait promener sa folle vanité,
Souffrez, lui dit l’enfant, que je vous accompagne !
À quoi bon ? Répond-il, puisque l’arrêt des dieux
À refusé la lumière à vos yeux ;
Que pour vous le monde est un abîme invisible
Où bruissent les flots d’une foule insensible
À vos tribulations.
Mais pour moi la nature est un vaste théâtre
Aux mille décorations, Que j’admire, que j’idolâtre,
Dont les acteurs sont doués des plus merveilleux dons
Et les femmes, pleines de charmes,
Qui ravissent mes sens de mille émotions.
Renoncez donc à ces illusions,
Et demeurez. Il part ; et l’enfant fond en larmes !
Le père, qui l’entend, accourt le consoler :
0 mon fils, lui dit-il, d’une voix tout émue,
Tout ce que tu peux désirer,
Trésors, grandeurs et puissance inconnue,
Par mon art, cher enfant, je vais te le donner.
Parle ! Parle! — Mon père, ah ! Donnez-moi la vue !
— Hélas! Mon fils, je n’ai pouvoir pareil!
— Eh bien ! reprend l’aveugle, éteignez le soleil !
Que je ne sois pas seul du moins dans l’infortune !
Vœu sacrilège ! Et chose assez commune
Chez notre faible humanité,
Où souvent les malheurs des autres
Semblent devoir nous consoler des nôtres,
Pour bien des gens, c’est une vérité.
Souvent aussi l’ignorance et l’envie,
Qui ne voient rien non plus des choses de la vie,
Jalouses de tous les succès,
Voudraient éteindre le génie
Et la science et le progrès,
Et dans leur aveugle folie,
Éteindre tout ce qui brille ou reluit
Et replonger le monde dans la nuit.
“Un Magicien et ses Fils”