Deux jeunes gens étant à peu prés du même Age,
Et qui s’aimaient très-tendrement,
Voulaient tout naturellement
S’unir par un doux mariage ;
Mais le père de l’un prisant fort le billon,
Et la mère de l’autre aimant le picaillon *,
L’accord, pour quelques sous, ne put jamais se faire.
Notre jeune homme alors, par dépit amoureux,
Trouvant que se détruire était trop dangereux *
Et bête autant que téméraire,
Se fit… moine? non pas, mais bien apothicaire,
Ce qui lui rapportait beaucoup d’émoluments ;
Et la fille, fidèle à ses premiers serments,
Chose rare, voulut rester célibataire.
Quelque vingt ans après *, les parents étant morts,
En laissant tous les deux d’assez bons coffres-forts,
Elle lui dit : ô vous, le plus heureux des hommes,
Aujourd’hui que libres nous sommes,
Voulez-vous m’épouser? L’autre, assez interdit,
Prit d’abord de tabac une prise, et lui dit :
Sans doute, toujours je vous aime,
Mois je vous aimais plus n’ayant que vingt printemps ;
Car, comme vous avez aujourd’hui quarante ans,
Vous n’êtes plus du tout la même,
Et vous avez perdu tous vos charmants appas.
Chaque créature ici-bas
Aime ce qui lui plaît, cherche ce qui la flatte,
De même qu’un galeux se gratte ;
Elle aime ce qu’on a, beauté, rang ou ducats,
Mais quant à la personne, elle ne l’aime pas.*
* Petite monnaie du Piémont, pour toute espèce de monnaie.
*Et lui chaud, comme disent les marins et les troupiers, de ne pas faire comme maint jeune homme qui se tire un coup de revolver dans ce cas.
* Comme dans Alexandre Dumas, père. (Un mariage remanqué)
* Dans le sens de l’amour proprement dit. C’est ennuyeux. Il faut toujours le répéter. Car les Jeunesses, s’il y en a, qui voudraient bien se fourrer cela dans la caboche, éviteraient bien des boulettes, il faut bien que l’expérience des vieux serve aux Jeunes.