Des trésors de l’état, vigilant oeconome,
Qui loin d’enterrer l’or, comme un avare gnome,
Voudrois qu’il pût servir par un prudent emploi ;
Tout aux peuples et tout au roi.
Pour le succès que ton esprit médite,
Que d’obstacles à surmonter ?
Un autre t’en plaindroit ; mais je t’en félicite ;
Ta gloire à moins ne pouvoit éclater.
Qu’aurois-tu fait dans des tems trop faciles
De ce génie actif et pénétrant,
Courageux, inventeur de ressources fertiles
Et fait tout exprès pour le grand !
On n’en auroit connu que la moindre partie ;
Le reste sans emploi n’eût pû se soupçonner ;
Au travers de ta modestie
Il l’auroit fallu deviner.
Mais, maint obstacle opiniâtre
T’exerce aujourd’hui tout entier ;
C’est le nœud gordien qu’il te faut délier,
Et ton mérite a trouvé son théâtre.
La France a déja vû ton courage guerrier ;
À présent, c’est une autre affaire ;
Il est besoin d’y marier
Le courage du ministère.
Courage de sang froid, courage patient ;
Bien différent de l’autre et de beaucoup plus rare,
Pesant toûjours un inconvénient
Avec le succès qu’il prépare ;
Content de vaincre lentement,
Dans l’utile cherchant sa gloire,
Ne voulant de laurier pour prix de sa victoire,
Que le bonheur public fondé solidement,
Voilà les traits du sage, et c’est là l’ornement
Dont je te crois responsable à l’histoire.
Sçavoir dans les combats faire parler de soi ;
Donner à tout un camp et l’exemple et la loi,
Noailles, c’est bien fait ; il faut que l’on renomme,
Ceux qui de tout leur sang, osent servir leur roi :
Mais, n’être qu’un héros, bagatelle pour toi :
Tu dois à la France un grand homme.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, A Mr. Le Duc de Noailles.