Pierre Louis Solvet
Homme de lettres, écrivain et analyses des fables
Analyse : Le Rat de ville et le Rat des champs, P. Louis Solvet, 1812
IX- Le Rat de ville et le Rat des champs.
Horace, sat.6, Iiv.2,
Cette Fable, racontée par Horace , est la plus parfaite que l’antiquité nous ait laissée, et d’un ordre si supérieur à toutes les autres, que Phèdre ne l’a jugée susceptible d’aucun ornement nouveau. On serait presque tenté de croire, tout en la voyant au nombre de celles de La Fontaine, que le poète français s’est imposé la même réserve. En effet, il est évident qu’il n’a point du tout eu l’intention de lutter contre son modèle. Il est ici à l’égard d’Horace ce que Phèdre est toujours vis-à-vis de lui : simple, élégant, concis, et rien de plus. Horace, au contraire, l’emporte sur La Fontaine précisément par les qualités qui rendent ce dernier si supérieur à Phèdre : la grâce, la vivacité dés images, l’enjouement, cet art surtout, qui lui est particulier, de relever les petits sujets par un ton d’importance toujours très-plaisant. De ce genre sont les attentions délicates du Rat campagnard d’Horace pour son noble convive, tandis que celui-ci, d’une dent dédaigneuse, dente superbo, touche à peine aux mets qui lui sont étalés ; le Rat de ville se faisant honneur du riche ameublement de son palais, plaçant son hôte sur un manteau de pourpre, pour lit de table ; son empressement à le servir, quasi succinctus cursitans ; et tant d’autres détails si bien dans le génie de La Fontaine, et qui, cependant, sont perdus dans son imitation. On connaît son admiration aveugle pour les anciens, admiration que Fontenelle traitait de bêtise ; s’en serait-il laissé imposer par la grande renommée d’Horace, au point de ne pas même oser aspirer à la gloire de le bien suivre!
V. 10. Mais quelqu’un troubla la fête
Pendant qu’ils étaient en train.
A la porte de la salle
Ils entendirent du bruit.
Un bruit survient, la fête fut troublée,
On frappe à l’huis.
(Les Rémois.)
V. 18. Rats en campagne aussitôt.
Gloutons en campagne aussitôt. (Vitalis, liv, 1, F. 20.)
V. 27. Fi, espèce d’interjection qu’on n’emploie que proverbialement et dans le style familier : c’est la seule observation que Chamfort fait sur cette Fable. On sent que nous ne la rapportons que pour ne lien omettre de son commentaire. Ce qui peut-être méritait davantage qu’on le remarquât, ce sont diverses façons de parler elliptiques qui s’éloignent un peu de l’usage, suite de l’extrême concision que La fontaine affecte dans cette Fable ; telles, par exemple, qu’ inviter à des reliefs d’ortolans, pour un repas de , on à partager des; je laisse à penser la vie, pour quelle vie. Ce n’est pas que je me pique de tous vos festins de roi.
On se pique de somptuosité, de magnificence, relativement à un festin , mais non de festins magnifiques,
« On lit, dit l’abbé Goujet, dans la première élégie du Prélude poétique de Robert Angot ( poète du 15e. siècle), la Fable du Rat de ville et du Rat des champs telle qu’elle a été depuis contée par La Fontaine. Je n’y ai trouvé, ajoute-t-il, de différence que pour la diction. Ce sont les mêmes pensées, c’est la même morale. » L’abbé Goujet est ici en défaut. La Fable de Robert Angot n’est qu’une traduction littérale de celle d’Horace, dont celle de La Fontaine s’écarte eu un point très-essentiel, c’est qu’elle commence par l’invitation du Rat de ville, et qu’il n’y est nullement question du repas du Rat des champs. La Fontaine est, parmi les poètes qui ont traité ce sujet, le seul qui se soit privé de cette source d’agréments. » M. Ducis, au 2e. chant de son joli poème du Banquet de l’Amitié) aujourd’hui trop peu connu, et que lui-même a négligé d’associer à ses autres poésies fugitives nouvellement publiées, rappelle isolément cette agréable circonstance une manière fort heureuse ; elle y devient une comparaison toute naturelle à la suite de la description d’un repas sans apprêt
Ainsi jadis au creux d’un mont stérile.
Le Rat des champs servait au Rat de ville,
Trottant, portant, revenant sur ses pas,
Non point les mets d’un somptueux repas,
Mais quelques grains de froment ou d’aveine
Dans sa réserve amassés avec peine,
Presque germes, dons simples mais touchants.
Je le crois bien, c’était le Rat des champs.