Denis Charles Henri Gauldrée-Boileau
A belles dents déchirant leurs confrères,
Et toujours de mauvaise humeur,
Nos Aristarques littéraires
Consentent rarement à louer un auteur.
Les beautés leur sont étrangères ;
Les perles sont au fond des flots,
Mais les défauts sont des pailles légères
Qui nagent au-dessus des eaux :
Aussi ces critiques sévères
Ne s’attachent-ils qu’aux défauts.
Voici comment le dieu que révère Delos
Punit jadis, dans sa sagesse,
Un Zoïle de cette espèce.
Un critique fameux (on ne dit pas son nom),
Avait passé toute sa vie
A rassembler avec attention
Les fautes d’un poète en réputation.
Etait-ce zèle ou jalousie?
Je n’en sais rien : la besogne finie,
Il offrit son travail au divin Apollon.
Le fils de Jupiter sourit à son hommage :
« Je dois, s’écria-t-il, et je veux dignement
» Récompenser un tel ouvrage. »
Soudain en face du pédant
On plaça par son ordre, au fond du sanctuaire,
Une mesure de froment
Tel qu’il est au sortir de l’aire ;
Le dieu dit : « Otez de ce grain
» La folle avoine et la paille inutile ;
« Faites deux parts. » Le critique docile
Très-gravement met aussitôt la main
A ce travail plus long que difficile ;
Il en coûta du temps, des soins à l’homme habile.
Lorsqu’il eût de Phébus rempli l’intention,
Que reçut-il ? Hélas ! le prix de tant de peine
Fut la paille et la folle aveine.
Critiques de nos jours, usez de la leçon.
“Apollon et le Critique”