À M De Fontenelle.
Fontenelle, grand maître et de prose et de rime,
De qui l’esprit contient tous les esprits,
Et qui, doué d’une raison sublime,
Ne l’as point aux dépens des grâces et des ris :
Je traite dans ces vers la science commune
Que personne n’apprend, que chacun croit sçavoir,
La morale ; et de peur qu’elle soit importune,
Sous des voiles rians je la fais entrevoir.
Tu sçais à fonds cet art qu’à peine l’on effleure.
Avant de t’élever aux spéculations,
Tu t’étois muni de bonne heure
Du principe des actions.
Prononce donc sur mes allégories ;
Juges-en sans appel le fonds et le détail :
C’est à tes lumières chéries
Que je soûmets tout mon travail :
Non pas qu’en tout j’espère gain de cause ;
J’aurai tort en plus d’un endroit.
Ici la rime souffre, et plus loin c’est la chose ;
Je n’irai pas peut-être à mon but assez droit ;
Parfois un mot intrus d’un autre tient la place,
Et quelquefois le tour est vicieux ;
Tantôt trop de foiblesse, et tantôt trop d’audace ;
Même, où j’aurai bien fait, j’aurai manqué le mieux.
Mais quoi ! Ne sçai-tu pas quelle espèce est la nôtre ?
Chacun de ses talens a beau s’enorgueillir :
Dès qu’on est homme, il faut faillir,
Et je suis homme en cela plus qu’un autre.
Apollon et Minerve étoient bannis des cieux.
Pour quel sujet ? Cela n’importe ;
Passons-nous-en ; le souverain des dieux,
Quand tel est son plaisir, met les gens à la porte :
On obéït, faute de mieux.
Que faire, dirent-ils ? Sevrez de l’ambroisie
Il faut chez les mortels aller gagner sa vie.
Moi, dit le dieu, je sçais un bon métier.
J’ai bien aussi le mien, répondit la déesse.
Ils firent choix d’une ville de Grèce,
Et s’établirent là, chacun en son quartier.
Apollon se fit empirique ;
Guérissoit tous les maux du corps ;
Des organes usés rajustoit les ressorts ;
Pour chaque maladie avoit un spécifique.
Quant à Minerve, elle exerçoit
Une plus haute médecine ;
C’étoit l’âme qu’elle pansoit ;
En extirpoit le mal jusques à la racine.
L’homme est ami du stile charlatan :
Bien le sçavoit la prudente déesse.
Elle l’affecta donc, et comme orvietan,
Elle débitoit la sagesse.
Son affiche portoit en caracteres d’or
Qu’à son art souverain rien n’étoit incurable.
Que l’on m’amène un scélérat, un diable,
Quelque chose de pis encor ;
Je vous le rends blanc comme neige ;
Je vous le guéris net d’un seul trait d’élixir :
Au sortir de chez moi les vertus en cortège
Marcheront sur ses pas ; il n’aura qu’à choisir.
Je vous redresse un esprit gauche ;
Je vous nétoye un cœur gangréné de débauche ;
Fièvre d’ambition, au feu toûjours nouveau,
Avec redoublement et transport au cerveau
Mensonge continu, malice invétérée,
Avarice désespérée,
Tous les vices en un monceau,
Je m’en joue, et cent fois j’ai fait semblables cures.
Et n’allez pas penser que ce soient impostures :
Usez de mon remède, et je n’en veux le prix
Que de ceux que j’aurai guéris.
Apollon faisoit mieux, on le payoit d’avance ;
Avant la guérison il vendoit l’espérance.
Cependant tout couroit chez le dieu médecin ;
Surchargé de pratique, il prenoit davantage ;
La foule en augmentoit ; on eût tout mis en gage,
Plutôt que de manquer le remède divin.
Il fut riche bien-tôt, comme un homme d’affaire,
Et Minerve n’étréna pas.
Les maux du corps font tout notre embarras :
Ceux de l’âme n’importent guère.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, Apollon, Minerve et les Médecins.