La Fontaine, copié ?
Il n’y a rien à gagner à lutter contre un pareil adversaire. Évitons donc de traiter les sujets qu’il traite, et dans cet intérêt, aussi, connaissons bien quels sujets il a traités. Belle recommandation, dira-t-on ! Un Fabuliste pourrait-il ne pas connaître cet auteur, cet ami de tous les âges avec qui l’enfance elle-même est familiarisée, et que tous les écoliers savent par cœur ?
Un fabuliste s’est trouvé pourtant à qui La Fontaine était inconnu ; et c’est dans l’avertissement qui précède son recueil , que cet homme , unique en France, fait l’aveu naïf de son ignorance. Il y dit en substance : « Au moment où je livre ces fables à l’impression, j’apprends qu’un M. de La Fontaine a traité quelques-uns des sujets sur lesquels je me suis essayé. J’affirme que, jusqu’à ce jour, j’ignorais qu’il existât un M. de La Fontaine, et je prie le public de croire que s’il se trouvait quelque ressemblance entre les fables de ce M. de La Fontaine et les miennes, ce n’est pas moi qui suis le plagiaire. »
Il ne s’en trouva aucune ; et personne n’a jamais moins été coupable de plagiat que l’auteur de cette déclaration, qui l’a fait plus connaître que ses fables (1). Il y a entre lui et La Fontaine toute la distance qui se trouve entre l’alpha et l’oméga. De même que toutes les lettres de l’alphabet sont comprises entre ces deux termes, de même tous les fabulistes bons ou mauvais, y compris même le grammairien , se rangent entre ces deux extrêmes. Il est encore un avantage que La Fontaine a dédaigné ou plutôt négligé, car le dédain n’était pas dans sa nature, celui d’inventer ses sujets. Il n’avait pas besoin d’inventer, lui, pour être original ; ou plutôt ses sujets deviennent ses inventions dès qu’il les a mises en œuvre. Mais si ce n’est pas pour prendre un avantage sur La Fontaine, avec qui personne ne peut entrer en concurrence, inventez pour ne pas laisser prendre avantage sur vous à vos concurrents.
(1) Elles ont été imprimées, je crois , chez Goujon , rue Taranne, en 1801 ou 1802. La Décade à parlé aussi de ce singulier avertissement. A. I.
– Les loisirs d’un banni, par A.V. Arnault, ancien membre de l’institut. Pièces recueillies en Belgique, publiées avec des notes par M. Auguste Imbert. Tome I, Volumes 1 à 2, 1823.