Comment le Moyne donne courage à ses compagnons & comment il pendit à un arbre.
- François Rabelais est un écrivain français humaniste de la Renaissance, né à La Devinière à Seuilly, près de Chinon , en 1483 ou 1494, et mort à Paris le 9 avril 1553.
Gargantua – Chapite XLII
Un conte de Rabelais, où il soutient le parallèle avec le Jean de La Fontaine, c’est dans un sujet qui a de grands rapports avec la fable de ” l’Enfant et du Maître d’école ” et qui est fort bien raconté, sauf l’invraisemblance du discours de frère Jean suspendu à un arbre ; le reste du conte est très plaisant.
« Le moyne disant ces paroles en colère passa sous un noyer tirant vers la saulaie et embrocha la visière de son heaulme à la roupte d’une grosse branche de noyer. Ce nonobstant donna fièrement des éperons à son cheval, lequel estait chatouilleux à la pointe, en manière que le cheval bondit en avant, et le moyne voulant deffaire sa visière du croc, lasche la bride, et de la main se pend aux branches cependant que le cheval se desrobe dessous lui. Par ce moyen demoura le moyne pendant au noyer, et criant à l’aide et au meurtre, protestant aussi de trahison. Eudémon premier l’apperceut et appellant Gargantua : Cyre, dist-il, venez et voyez Absalon pendu (indifférence cruelle des courtisans et des souverains). Gargantua venu considéra la contenance du moyne et la forme dont il pendoit, et dist à Eudémon : Vous avez mal rencontré, le comparant à Absalon, car Absalon se pendit par les cheveux, mais le moyne ras de teste s’est pendu par les aureilles. Aidez-moi, dist le moyne, de par le diable (vivacité agréable et contraste très-bien observé), n’est-il pas bien temps de jaser ? Vous me semblez les prêcheurs décrétantes (ici commence l’invraisemblance de ce long discours, quoique s’appliquant bien à la situation et ayant du sens et de la gaité), qui disent que quiconque voirra son prochain eu dangier de mort, il le doit sus peine d’excommunication trisulce plustot admonester de soy confesser et mettre en estât de grace que de lui ayder (protestation de la nature contre l’esprit chrétien); quand donc je les voirray tumber en la rivière et prêts d’être noyez, au lieu de les aller quérir et bailler la main, je leur ferai en beau et long sermon de contemptu mundi et fuga soeculi , et lorsqu’ils seront raides morts, je les iray pêcher.
Ne bouge, dist Gymnaste, mon mignon, je te vays quérir ; car tu es gentil, petit monachus, monachus in claustro non valet ova duo, sed quando est extra bene valet triginta. J’ai veu des pendus plus de cinq cents : mais je n’en vis oncques qui eust meilleure grace en pendillant (excellent trait de raillerie), et si je l’avais aussi bonne, je vouldrais ainsi pendre toute ma vie. Aurez-vous, dist le moyne, tantost assez préché ? Aidez-moi de par Dieu, puisque de par l’autre (le diable) ne voulez; par l’habit que je porte, vous en repentirez (menace piquante et naturelle), tempore et loco prœlibatis. Alors descendit Gymnaste de son cheval, et montant au noyer, soubleva le moyne par les goussets d’une main et de l ’aultre defeist sa visière du croc de l’arbre et ainsi le laissa tomber à terre el soy après. »
Pour comparer avec la fable de La Fontaine :
L’Enfant et le Maître d’école
Dans ce récit je prétends faire voir
D’un certain sot la remontrance vaine.
Un jeune enfant dans l’eau se laissa choir,
En badinant sur les bords de la Seine.
Le Ciel permit qu’un saule se trouva,
Dont le branchage, après Dieu, le sauva.
S’étant pris, dis-je, aux branches de ce saule,
Par cet endroit passe un Maître d’école.
L’Enfant lui crie : “Au secours ! je péris. ”
Le Magister, se tournant à ses cris,
D’un ton fort grave à contre-temps s’avise
De le tancer : “Ah ! le petit babouin !
Voyez, dit-il, où l’a mis sa sottise !
Et puis, prenez de tels fripons le soin.
Que les parents sont malheureux qu’il faille
Toujours veiller à semblable canaille !
Qu’ils ont de maux ! et que je plains leur sort ! ”
Ayant tout dit, il mit l’enfant à bord.
Je blâme ici plus de gens qu’on ne pense.
Tout babillard, tout censeur, tout pédant,
Se peut connaître au discours que j’avance :
Chacun des trois fait un peuple fort grand ;
Le Créateur en a béni l’engeance.
En toute affaire ils ne font que songer
Aux moyens d’exercer leur langue.
Hé ! mon ami, tire-moi de danger :
Tu feras après ta harangue.