Comment s’y prit maître Escargot pour gagner un déjeuné à compère le Loup
Un soir que La terre était toute parfumée par les premières aubépines en fleurs, compère le Loup sortit de la foret de Compiègne et patata, patata, patata, descendit ventre à terre une côte rapide.
Un petit Escargot l’aperçut; un petit escargot portant gentiment sa maison et ses cornes, espiègle comme un lutin, étourdi comme un page, un bijou d’Escargot en un mot, aimant à rire et à s’amuser.
— Hé!… Hé!… Ah! ah! ah!…. Compère le Loup se retourne.
— Pourquoi vis-tu, petit Escargot?
— Pourquoi je ris? .
— Oui, pourquoi ris-tu? Serais-je donc ridicule par hasard?
— Non, compère le Loup, lu es presque frisé et musqué tout au contraire, tu es beau comme un astre ! Non, compère le Loup, tu n’es point ridicule.
— Et alors pourquoi cette folle gaieté à mon passage ? Réponds, car je suis pressé, parle à l’instant ou je t’étrangle!
— Eh ! monseigneur le Loup, ne te mets pas en colère, la chose n’en vaut pas la peine; vraiment, je riais…, je riais… de te voir courir si vite, parbleu! Tu n’as pas de chiens à tes trousses, où cours-tu si vite aujourd’hui?
— Je vais à Paris.
— A Paris?
— Oui.
— Et que vas-tu l’aire dans la capitale?
— Je veux voir mon frère qui ost malade au Jardin des Plantes. Il m’a luit écrire de venir le trouver.
— Alors cela tombe à merveille*. Moi aussi je vais à Paris.
— Hi! hi ! fit à son tour Messire des Bois d’un ton goguenard, les agneaux auront des cornes comme les béliers quand tu y seras!
L’Escargot fut piqué de ce langage. Il redressa fièrement la tête et répondit :
Escargot et Loup
Escargot et Loup
— Je ne sais, compère le Loup, je ne sais combien les agneaux mettent de temps pour avoir des cornes ainsi que les béliers, mais, ce qui est bien certain, c’est que je serai arrivé avant toi.
— Tu n’as pas de jambes, malheureux, et tu traînes une maison sur ton dos, comment donc pourrais-tu t’y prendre?
— La manière importe peu, mais j’y serai le premier.
— Tu me la bailles belle avec tes discours! Parions un déjeuner, si toutefois tu ne plaisantes pas.
— Va pour le déjeuner ; je te donne même trois sauts d’avance ; ensuite tu galoperas.
Pendant que compère le Loup prend sa distance, maître Escargot lui grimpe après la queue.
Le signal est donné, le Loup part. Il court dans les vallées, bondit sur les rochers, passe les fleuves et les rivières, respirant ;à peine, ne prenant pas un instant de repos. Il arrive à Paris le lendemain et trouve la porte Saint-Honoré fermée.
Compère le Loup hernie bien fort.
Pendant ce temps, l’Escargot tombe à terre, glisse sous la porte, grimpe en toute bute, s’assied sur la muraille et lui dit tranquillement :
— Ah! te voilà compère! Il y a belle lurette que je t’attends pour déjeuner!
(Comment s’y prit maître Escargot pour gagner un déjeuné à compère le Loup)
(Maître Escargot et compère le Loup), Jean-Baptiste Frédéric Ortoli, 1861-1906