Commentaires et observations diverses : Daphnis et Alcimadure par MNS Guillon, 1803.
Il ne paraît pas que La Fontaine ait pensé a mettre au nombre de ses fables cette imitation de Théocrite. C’est une de ses dernières compositions , bien postérieure à la publication de ses apologues. Elle est dans le recueil de ses Œuvres diverses ( T. I. p. 141 ), recueil dont l’éditeur s’est borné aux pièces qui ne sont ni fables ni contes, comme il le déclare dans la Préface.
(1) Aimable fille d’une mère, etc. Quelle est cette mère à qui seule mille cœurs font la cour ? Si c’est une mère naturelle, l’éloge est bien exclusif: ce n’en est pas un pour la fille. Si c’est une mère poétique, n’y avait-il alors que Vénus à qui l’on fît la cour ?
(2) Que vous garde l’Amour. Qu’est-ce donc que le poète entendait par cette cour que mille cœurs font à son héroïne ?”
(3) Je ne puis qu’en cette Préface, Tournure latine.
(4) Et que j’ai le secret de rendre exquis et doux. Oui, certes, et tout semblable au parfum de l’ambroisie qui donne l’immortalité. La Fontaine parle peu de lui-même dans ses ouvrages ; et quand, au terme d’une carrière si longue, son éloge se trouve sous sa plume, quelle différence de ce ton simple et naïf du bonhomme, avec le style pompeux, dont Horace, Ovide, Sarbievius, Phèdre lui-même , et notre poète Malherhe tracent, les titres, de leur apothéose !
(5) Toujours courant aux bois. La Fontaine n’écrit pas; voilà pourquoi son style n’est quelquefois pas soigné : il cause avec son lecteur; c’est un charmant enfant qui raconte ce qu’il a fait et, comme il a fait. ,
(6) ayant trait qui ne plût, pas même en ses rigueur: Quelle l’eût-on trouvée au fort de ses faveurs ! Hermione,
dans Andromaque, dit, en parlant de Pyrrhus :
Je t’aimois inconstant, qu’eussé-je fait fidelle ?
(7) Le jeune et beau Daphnis , etc. Ces vers, et en général cette fable, nous fournissent deux observations importantes. i°. Notre poète en transportant à une jeune Bergère un sentiment que le poète grec’a fixé sur un Berger, a rectifié ce qu’il y a d’impur dans le tableau; il a jeté adroitement un voile sur son modèle. Virgile n’a pas eu cette délicatesse. Son. Alexis est l’Alcimadure de l’idylle française ; il n’en a pas moins obtenu de ses contemporains le surnom de Vierge. Le chantre d’une débauche effrénée être appelé une Vierge ! Oui, comme le vieillard Anacréon, amoureux de Batille, fut décoré du nom de Sage, Quels siècles et quelles mœurs ! 2°. Les Bergers de la poésie sont bien loin de ressembler aux Pâtres de nos campagnes, issus de parents aussi grossiers qu’eux-mêmes. Ce sont des espèces de demi-Dieux, de race noble, souvent divine, que le ciel prête à la terre, pour les, réunir bientôt à leur céleste famille.
(8) de sa nativité! S. Evremont ;
Pour faire la solennité
De sa vieille nativité,
(OEuv. div. T. IV. p. 326.) Mais on ne s’en sert plus qu’en style de liturgie.
(9) Daphnis mourut d’amour, etc. Après le fonds de la pièce qui appartient au poète grec, il n’y a de lui que l’épitaphe du Berger, ainsi conçue : Corydon mourut d’amour. Passant arrête-toi, et dis : celui qu’il aimait eut le cœur inflexible.
(10) Par la Parque il se sentit atteint. Dans Théocrite, l’amant malheureux termine lui-même sa vie, en se pendant à la porte d’Alexis. Ce supplice volontaire , l’aspect d’une corde effarouché l’imagination bien plus qu’elle ne l’intéresse. Combien le Berger français est supérieur ! C’est la douleur qui tranche ses jours; et cette image excite la plus vive sensibilité.
(11) Echo redit ces mots dans les airs épandus. Nous avons déjà vu ce dernier mot qui a vieilli. Marot :
Certainement les vertus qui s’épandent Dessus vos cœurs, etc.
( Epitre aux Dames de Paris.)
Dans l’idylle de Chabanon, c’est une Bergère qui est l’objet d’une passion au moins plus naturelle. Punie de ses rigueurs, elle prononce ces paroles, si heureusement imitées par notre poète. La Fontaine en les faisant sortir de la nue, leur donne l’autorité des vengeances célestes, et la sanction d’un oracle, ce qui les rend bien plus imposantes.
(12) Tout l’Erèbe, etc. Nom des enfers, l’Erèbe ou la nuit, parce que l’empire des morts est couvert d’une nuit éternelle.
(13) Non plus qu’Ajax Ulysse, qui dans les enfers conjure le fils de Télamon d’oublier leur ancienne animosité, sans pouvoir même en être écouté (Voyez Odyss. L. XI. v. 563. ) et Didon son perfide, lorsqu’Enée, l’apercevant dans le séjour des morts, adresse à cette princesse un discours auquel elle ne daigne pas répondre. (Virg. AEnéid. L. VI. v.450.).