L’aigle eut un jour à se plaindre de l’autour. Il assembla aussitôt tous les oiseaux ses sujets, et, après leur avoir exposé ses griefs, il donna ordre qu’on allât saisir le coupable et qu’on le lui amenât. Celui-ci, qui pressentoit la colère du monarque, s’étoit retiré dans le trou d’un rocher, bien résolu à se défendre si on 1 y attaquoit. Vingt fois les oiseaux passèrent et repassèrent devant le trou, sans qu’aucun d’eux osât se risquer à y entrer.
La grue enfin proposa un expédient qui an-nonçoit bien son imbécillité, c’étoit d’y enfoncer son long cou, et d’obliger avec le bec le rebelle à sortir. L’avis fut fort approuvé. En conséquence la sotte, enivrée par ces éloges, pénètre étourdiment dans le piège; mais à peine y a-t-elle enfoncé la tète, que l’autour, la lui saisissant avec sa serre, la mord cruellement.
Elle ne s’attendoit pas à cet accueil. Sa peur est telle qui involontairement elle ouvre l’extrémité opposée, et conspue les oiseaux qui étoient auprès d’elle. Tout le monde se met à rire; enfin elle se tire du trou avec grand’peine; mais dans la confusion que lui cause son accident, elle se sauve et prend même le parti de passer les mers pour s’éloigner à jamais des témoins de sa honte. Dans sa route elle rencontre une mouette de sa connoissance qui lui demande où elle alloit ainsi. L’autre lui raconte naïvement sa triste aventure. Mais, dites-moi, reprit la mouette, vous n’emportez pas sans doute avec vous l’instrument honteux qui vous a joué ce mauvais tour?
— Belle question! Eh! comment voulez-vous donc que je m’en sois défaite?
— Eh bien! ma chère, puisque vous le portez toujours, retournez d’où vous venez, croyez-moi, et craignez qu’il ne fasse encore pis ailleurs. »
“De la Grue”