Jean de La Fontaine
Poète, moraliste et fabuliste XVIIº – Livre 12 – Dédicace à Mgr le Duc de Bourgogne
Je ne puis employer, pour mes fables, de protection qui me soit plus glorieuse que la vôtre.
Ce goût exquis et ce jugement si solide que vous faites paraître dans toutes choses au-delà d’un âge où à peine les autres princes sont-ils touchés de ce qui les environne avec le plus d’éclat; tout cela joint au devoir de vous obéir et à la passion de vous plaire, m’a obligé de vous présenter un ouvrage dont l’original a été l’admiration de tous les siècles ainsi que celle de tous les sages.
Vous m’avez même ordonné de continuer; et si vous me permettez de le dire, il y a des sujets dont je vous suis redevable, et vous avez jeté des grâces qui ont été admirées de tout le monde.
Nous n’avons plus besoin de consulter ni Apollon ni les Muses, ni aucune des divinités du Parnasse: elles se rencontrent toutes dans les présents que vous a faits la nature, et dans cette science de bien juger des ouvrages de l’esprit, à quoi vous joignez déjà celle de connaître toutes les règles qui y conviennent.
Les fables d’Ésope sont une ample matière pour ses talents, elles embrassent toutes sortes d’événements et de caractères. Ses mensonges sont proprement une manière d’histoire où on ne flatte personne. Ce ne sont pas choses de peu d’importance que ces sujets: les animaux sont les précepteurs des hommes dans mon ouvrage. Je ne m’étendrai pas davantage là-dessus: vous voyez mieux que moi le profit qu’on en peut tirer. Si vous vous connaissez maintenant en orateurs et en poètes, vous vous connaitrez encore mieux quelque jour en bons politiques et en bons généraux d’armée; et vous vous tromperez aussi peu au choix des personnes qu’au mérite des actions.
Je ne suis pas d’un âge à espérer d’en être témoin. Il faut que je me contente de travailler sous vos ordres. L’envie de vous plaire me tiendra lieu d’une imagination que les ans ont affaiblis: quand vous souhaiterez quelque fable, je la trouverai dans ce fonds-là.
Je voudrais bien que vous y puissiez trouver des louanges dignes du monarque qui fait maintenant le destin de tant de peuples et de nations, et qui rend toutes les parties du monde attentives à ses conquêtes, à ses victoires, et à la paix qui semble se rapprocher, et dont il impose les conditions avec toutes les modérations que peuvent souhaiter nos ennemis.
Je me le figure comme un conquérant qui veut mettre des bornes à sa gloire et à sa puissance, et de qui on pourrait dire, à meilleur titre qu’on ne l’a dit d’Alexandre, qu’il va tenir les États de l’univers, en obligeant les ministres de tant de princes de s’assembler pour terminer une guerre qui ne peut être que ruineuse à leurs maîtres. et sont des sujets au-dessus de nos paroles; je les laisse à de meilleures plumes que la mienne et suis avec un profond respect, Monseigneur,
»Votre très-humble, très-obéissant et très-fidèle serviteur
Analyses de Chamfort
1) Monseigneur le Duc de Bourgogne. Fils du Dauphin, fils unique de Louis XIV, et Dauphin lui même par la mort de son père , en 1711. C’est cet illustre élève de Fénelon, si digne de son maître, dont les excellentes et aimables qualités offraient l’image vivante de Télémaque tous la conduite de Minerve. Il mourut âgé de 3o ans , le 18 février 1712, laissant à son siècle les plus vifs regrets , et à la postérité une mémoire immortelle.
3) D’un âge où à peine, etc. Il était dans sa huitième année.
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Études sur La Fontaine, notes et excursions littéraires sur ses fables : P. Louis Solvet
A MONSEIGNEUR LE DUC DE BOURGOGNE.
Prince , l’unique objet du loin des immortels, Souffrez que mou encens parfume vos autels.
Prenez-vous garde, monsieur, a l’air naturel dont ce prologue s’unit avec la Fable? On ne voit point la couture, tant elle est bien faite; et les louanges qu’on donne ici à M. le duc de Bourgogne sont si délicates, qu’elles n’ont point l’air de louanges. Il n’y a qu’un ton pour bien louer, c’est le ton simple et naturel- Le style soutenu sent l’effort, et l’effort sent le mensonge. Il semble qu’on se soit battu les flancs, qu’on ait ramassé toutes les forces de son esprit pour bien dire. Je me défie de tant d’apprêts. On m’attraperait bien mieux avec une louange simple et négligée : je ne m’en défie-rois point , parce que je la croirais partie du cœur.