Antoine Furetière
Homme d’Église, poète, fabuliste XVIIº – Des deux Escrevices
Une jeune Escrevice, et sans experience,
Vid d’ un œil envieux paroistre un festin,
Quantité de ses soeurs en pompeuse apparence,
Teintes d’un bel incarnadin.
Elle courut soudain dire à sa mère,
L’admire de mes sœurs la fortune prospere:
L’en ay veu trente dans un plat,
Si magnifiquement vestuës;
Que je les croyrois parvenuës,
Aux honneurs du Cardinalat:
Tandis que barbotant dans la boüe et l’ordure
Nous sommes couvertes de bure.
Que je souhaiterois un sort si fortumé;
Et d’avoir un habit si bien enluminé.
La vieille et prudente Escrevice,
A sa fille répond :Vous estes bien novice,
Celle qui brille avec plus de splendeur,
Voudroit bien retenir sa premiere couleur:
Et quoy qu’il semble qu’elle éclatte,
Soubs une robe d’écarlatte;
C’est une funestre acoustrement,
Qui ne doit pas faire envie,
Puisqu’il est vendu cherement,
Et qu’elle en a perdu la vie.
Moralité :
Til, est semblable est le fort,
D’un heros couvert de gloire,
Il vit de vray , dans l’histoire,
Mais cependant, il est mort.
Antoine Furetière