Contre les menteurs
Qui s’accoustume de mentir
Après qu’il a baillé de bourde,
On ne peult à luy consentir,
Car on luy fait l’aureille sourde.
Du Berger menteur
Ung Pastoureau dessus ung mont gardoit
Ses doulx Aigneaulx, ses Moutons et Brebis ;
De ses voisins se mocquoit et lardoit
Quand il estoit saoul d’eau et de pain bis.
Il s’écrioit : « Helas ! les loups famis
M’ont desrobé, et mes moutons emportent. »
Gentz mensongers jamais vray ne rapportent.
Par plusieurs fois les laboureurs d’entour
Vindrent au cry, mais les Loups ne trouvoient,
Et bien souvent leur dressa ce bon tour.
Estants deceuz quand ilz y arrivoient.
Ung jour les Loups le parc de prés suyvoient,
Une brebis leur demoura pour proie.
Tost vient le mal combien qu’envis on croye.
Ce Pastoureau, le larrecin voyant
Du maistre Loup qui la Brebis emporte :
« Au Loup ! au Loup ! » disoit il en criant.
Mais de secours arme ne le conforte :
Là on le laisse, aulcun ne s’y transporte,
Car trop souvent les avoit abusez.
Tousjours en fin sont prins les plus rusez.
Homme qui est souvent trouvé menteur,
S’on l’apperçoit on ne le veult pas croire ;
Voire fut il de vérité l’autheur,
Ne sera creu ny tenu pour notoire :
C’est son loyer, il n’a point d’aultre gloire.
C’est bien raison, s’il use de mensonge,
Que vérité luy soit imputé songe.
“Du Berger menteur”
- Gilles Corrozet (1510 – 1568)