“Du Grammairien qui enseignait un Âne” – Un Grammairien se glorifiait d’exceller dans son art au point que, moyennant un salaire convenable, il s’engageait à instruire non seulement des Enfants, mais même un Âne. Le Prince, apprenant la folle témérité du personnage, lui dit : ” Si je te donnais 50 ducats, répondrais-tu de pouvoir en dix ans faire l’instruction d’un Âne ? ” Dans son imprudence, il répondit qu’il acceptait la mort si, dans cet espace de temps son Âne n’arrivait pas à lire et à écrire. Ses amis étaient étonnés de ses paroles : ils lui reprochaient de s’engager à faire une chose non seulement malaisée et difficile, mais même impossible, et ils craignaient qu’à l’expiration du délai il ne fut mis à mort par le Prince. Il leur répondit : ” Avant le terme, ou l’Âne mourra, ou le Roi, ou moi. ” Cette fable montre aux gens qui sont exposés à un danger que le délai souvent leur vient en aide.
- Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
Le Grammairien qui s’était chargé d’instruire un Ane
« Un Grammmairien se vantait d’être si habile dans son art que, moyennant an prix convenable, il se chargeait d’instruire, non seulement des enfants, niais un Ane même. Le prince apprit la chose. Il fit venir l’homme et lui dit : « Veux-tu, pour cinquante écus d’or, te charger d’instruire un Ane en dix ans ? » Le Charlatan répondit : « Je consens à être pendu si, dans dix ans, cet Ane ne sait pas lire et écrire. » Étonnés de cette promesse, les amis du Grammairien le blâmèrent de s’être engagé à faire une chose non seulement difficile, mais encore impossible, et ils lui exprimèrent la crainte de le voir pendu par ordre du prince quand le terme serait arrivé. Il les rassura par cette parole : «Avant dix ans, l’Ane mourra, ou le Roi, ou moi-même. »
Abstemius, fable 133,
- Abstemius – (XVe. siècle ?)
Le Charlatan
Le monde n’a jamais manqué de Charlatans.
Cette science de tout temps
Fut en Professeurs très fertile.
Tantôt l’un en Théâtre affronte l’Achéron,
Et l’autre affiche par la Ville
Qu’il est un Passe-Cicéron.
Un des derniers se vantait d’être
En Eloquence si grand Maître,
Qu’il rendrait disert un badaud,
Un manant, un rustre, un lourdaud ;
Oui, Messieurs, un lourdaud ; un Animal, un Ane :
Que l’on amène un Ane, un Ane renforcé,
Je le rendrai Maître passé ;
Et veux qu’il porte la soutane.
Le prince sut la chose ; il manda le Rhéteur.
J’ai, dit-il, dans mon écurie
Un fort beau Roussin d’Arcadie :
J’en voudrais faire un Orateur.
– Sire, vous pouvez tout, reprit d’abord notre homme.
On lui donna certaine somme.
Il devait au bout de dix ans
Mettre son Ane sur les bancs ;
Sinon, il consentait d’être en place publique
Guindé la hart au col, étranglé court et net,
Ayant au dos sa Rhétorique,
Et les oreilles d’un Baudet.
Quelqu’un des Courtisans lui dit qu’à la potence
Il voulait l’aller voir, et que, pour un pendu,
Il aurait bonne grâce et beaucoup de prestance ;
Surtout qu’il se souvînt de faire à l’assistance
Un discours où son art fût au long étendu,
Un discours pathétique, et dont le formulaire
Servît à certains Cicérons
Vulgairement nommés larrons.
L’autre reprit : Avant l’affaire,
Le Roi, l’Ane, ou moi, nous mourrons.
Il avait raison. C’est folie
De compter sur dix ans de vie.
Soyons bien buvants, bien mangeants,
Nous devons à la mort de trois l’un en dix ans.
- Jean de la Fontaine – (1621 – 1695)